L'ange de ses nuits

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La nuit venait tout juste de tomber et les Légendaires avaient trouvé refuge dans une caverne où ils avaient été accueillis en héros. Anathos venait d'être vaincu et Alysia était sauvé. Il y avait peu de temps encore, ses habitants reniaient la présence des héros, mais l'opinion était versatile et la population pardonnait aussi aisément qu'elle condamnait.

Jadina dormait à point fermé dans l'une des chambres réservées au nom des plus grands héros d'Alysia. Cette dénomination avait amusé ses amis et avait failli lui arracher l'ébauche d'un sourire. Elle se rappelait les coups et les injures, mais la gloire passée avait été bien vite balayée. Il y avait eu l'accident Jovénia et la colère des habitants. Il leur avait fallu un coupable de taille et puisque Darkhell avait disparu, ils avaient arrêté leur choix sur les Légendaires. Cela aurait pu être un autre, ils auraient pu maudire le Sorcier Noir pour ses expériences douteuses et pour sa cruauté, mais il fallait croire que l'espèce humaine avait grand besoin de reporter sa rage sur une chose concrète. Darkhell n'était qu'un souvenir glaçant, mais déjà trop lointain, la colère de tous s'était heurtée à la figure vaincue des Légendaires.

Désormais, les acclamations avaient remplacé les quolibets. Ils étaient accueillis en héros et ne s'en plaignaient pas. Ils n'avaient rien à gagner à garder rancune de ces années. Le mépris avait laissé de lourdes traces, bien qu'aucun des Légendaires ne se risquerait à le laisser entendre. Jadina laissait chaque affront couler sur sa personne et elle était persuadée que ses amis agissaient de la même façon. Ils avaient vécu le pire et il n'était plus question de se lamenter sur leur sort. Les peines étaient faites pour être étouffées.

Jadina avait demandé une chambre à part de ses compagnons et personne ne s'y était opposé. Shimy ne s'en offensait plus, elle avait pris le pli et Ténébris ne cherchait même pas à s'en plaindre. Elles comprenaient ou, du moins, s'efforçaient de ne pas se plaindre. Elles respectaient son deuil, son sommeil agité et son besoin dévorant de solitude. Jadina formait un excellent leader, mais elle n'avait plus rien en commun avec la fille un brin insouciante, vive et délicate. Elle avait changé, elle s'était endurcie jusqu'à ne plus être qu'un soldat au service d'un idéal. Pour quelle raison ? Afin de servir la cause qu'elle défendait aussi ardemment qu'un certain chevalier ou pour s'éviter de réfléchir ?

Jadina avait réussi à atteindre les bras coulants, fuyants de Morphée. Elle craignait le sommeil autant que les ombres sordides qui l'enveloppaient. La nuit, le froid, les vieux parasites qui ne lui laissaient aucun répit. Parfois, lorsque le repos se refusait à elle, elle s'accrochait à la lune et avait le sentiment de le sentir proche. Il lui semblait presque sentir son souffle brûlant contre sa nuque et ses bras prêts à enlacer ses épaules. Il lui soufflerait :

— C'est bien, ma douce, tu as bien lutté. Il est temps, à présent.

Puis, elle sentirait la caresse subtile de son ombre, la douceur veloutée de son corps et il achèverait, d'une voix qui se confondrait avec le silence :

— Viens, rejoins-moi. Allons-nous-en, ma douce princesse.

Et elle s'évanouissait dans la blancheur immaculée de son horizon.

Cela tenait davantage du fantasme que de la réalité et les nuits de Jadina ne connaissaient que la solitude. Une solitude qu'elle chérissait autant qu'elle haïssait. Elle ne vivait que pour le devoir et le temps des belles amitiés, des sentiments idéalistes, étaient révolus.

Jadina dormait trop profondément pour ressasser de tels souvenirs. La journée avait été éprouvante et quelques soubresauts traversaient parfois son corps. Elle étouffait à peine un geignement ou deux, mais son cauchemar disparaissait aussitôt. Elle n'en conserverait aucun souvenir, si ce n'était l'image mouvante, mais familière de son chevalier.

Derrière les Héros [Les Légendaires]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant