Le devoir du colosse

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              Je me redressais péniblement. Au dessus de ma tête, des gravas m'emprisonnaient. Il faisait chaud, très chaud et je pouvais entendre le feu crépiter tout près. Je devais voir ce qu'il s'était passé, je n'avais aucun souvenir, j'avais certainement pris un coup qui m'avait fait perdre connaissance. Après un dernier effort suivi d'un cri de rage, je parviens à me relever entièrement.

Alors je pus voir de mes propres yeux l'horreur. Ce spectacle abominable qui s'offrait à moi. La ville était en feu, l'air était presque irrespirable avec la fumée que la fournaise dégageait. La plupart des bâtisses étaient détruits et les débris jonchaient le sol partout. Ceux qui tenaient debout étaient dans un piteux état, à semi détruit, ils semblaient sur le point de s'écrouler eux-aussi. Mon regard balayait douloureusement les vestiges de la ville natale. Il ne restait plus rien de sa grandeur qui, hier encore, faisait sa fierté. Juste des gravas, des flammes qui dansaient vers le ciel insensible et une chaleur intenable.

Et, le pire de tout. Le calme. Il n'y avait pas le moindre bruit, pas de gémissement, de murmure, ou de cris. Rien. Le calme plat. Seul le crépitement de la fournaise qu'était à présent Rymar. Le silence pesait comme un fardeau, comme le poids de la vérité. Et c'est à cet instant que je les vis : les corps. Les cadavres des villageois, tous morts. Certains écrasés sous les décombres, d'autres, une flèches figées dans le corps. Mais cela revenait au même, finalement. Ils étaient tous morts. Le boulanger au visage souriant, la petite fille que je croisais le matin, une friandise à la main ou même le vieillard que tu salues depuis toujours. Ils n'ont plus de nom, plus d'identité, plus rien. Ils sont morts.

Soudain, elle me frappe. Cette évidence, cette vérité, cette chose que j'aurais dû remarquer en premier lieu. Maman. Papa. Je ne les vois pas, ils ne sont pas là. J'aimerais croire qu'ils s'en sont sortis, que, par miracle, ils sont encore en vie. Mais, au fond de moi, je ne suis pas dupe, je ne peux pas me mentir à moi-même. Et Sheyla ? Et ma sœur ? Non, elle ne peut pas être morte, elle aussi. Pas elle, pas maintenant !

Quelque chose retient mon attention. Un drapeau, fièrement brandi au milieu d'un tas de décombres, sur le tissu rouge, un loup noir était représenté. Je déglutis avec difficulté, je comprends immédiatement. L'Armée des 1000 loups ! Des questions viennent à moi, par centaines. L'incompréhension se fait une place au milieu de la douleur, de la peur et de la haine. Pourquoi nous ? Pourquoi attaquer une ville comme la notre ? Pourquoi avoir tué tout le monde ici ? Les femmes et les enfants, les plus faibles. Il fallait être un monstre pour faire une chose pareille.

Je suis blessé. Je sens un liquide visqueux dégouliner sur mon visage d'une plaie sur le haut de mon front. Du sang s'écoule aussi d'une blessure sur mon épaule et tache le vêtement bleu de sa couleur vermeille. Mais ce n'est rien, je guérirais, je le sais. Ce n'est rien, ce n'est rien comparé à la douleur que me déchire la poitrine, qui me coupe le souffle, qui me ronge les entrailles. Rien du tout. C'était presque dérisoire, je ne sentais presque plus le picotement, la brûlure de mes yeux dus à la fumée. Rien du tout, vraiment.

Je m'écroulais, le sol dur meurtrissait mes genoux. Pourquoi cela faisait-il aussi mal ? Pourquoi fallait-il que cela t'arrive ? Pourquoi nous, pourquoi moi ? Des larmes coulaient sur mes joues, mais ça ne me soulageais pas. C'était encore pire encore, si seulement c'était possible.

Les 1000 loups. Je les imaginais, tuant sans scrupules, sans états d'âmes, les villageois hurlant, suppliant, pleurant. Alors, là, je savais ce qui pouvait me soulager. La haine, la rage qui coulait dans mes veines le savait aussi. J'allais les venger, j'allais venger tous les habitants de cette ville. Papa, maman et Sheyla. Ces assassins allaient payer pour leurs crimes. Mon poing frappait le sol avec force, avec hargne. Les dents serrés, le visage couvert de larmes, les sourcils froncés et le corps meurtri, je me fis une promesse, un serment. Ils allaient mourir, tous, jusqu'au dernier. Et je les tuerais de ma main, je vengerais les innocents morts sans raison.

C'était le devoir de celui qui avait survécut, celui dont la mort n'avait pas voulu. C'était mon devoir et je le remplierais. Coût de coût. 

Derrière les Héros [Les Légendaires]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant