L'ère d'Anathos

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Les Légendaires avaient été vaincus.

Les Légendaires venaient de perdre leur plus grand combat contre le dieu Anathos.

Alysia et le monde elfique avaient basculé alors dans une ère nouvelle. Une époque qui porterait la marque de ce dieu maudit par ses pairs. Une époque dénotée de tout espoir.

Anathos avait entrepris de détruire l'œuvre de ceux qui l'avait retenu prisonnier, accomplissant une vengeance vieille de plusieurs millénaires.

Une prophétie s'était accomplie, ce jour-là, sur cette île paisible. Une prophétie que les Légendaires ont tenté de défaire, de fuir, de nier, mais qui aura eu le fin mot de ce triste affrontement.

Chaque Légendaire se rappelait de chaque détail de ce combat, à jamais ancré dans leur esprit, dans leur corps mutilé. Chaque Légendaire imaginait un dénouement heureux, une solution que l'urgence avait ôté à leur vue. Peut-être auraient-ils pu s'en sortir, tous, peut-être auraient-ils pu braver la prophétie et prouver au monde que rien, pas même l'Alystory, ne pourrait dicter le destin aux plus grands héros d'Alysia. Ils ignoraient alors que personne en ce monde, aussi grands héros peuvent-ils être, ne peut entraver le sort. Ils ignoraient qu'un être avait personnifié le destin et veillait que tout se déroule comme prévu. Un être qui incarnerait plus tard un plus grand danger encore que ce dieu de pacotille !

Mais tout cela, les Alysiens l'ignoraient. Eux avaient compris le sens du mot défaite qu'à l'instant où le Castlewar avait rasé les villes. Cette forteresse vivante commandée par le dieu maléfique avait entrepris de railler la race humaine de la planète. Anathos s'en était donné les moyens. Les Vulturs, monstres ailés créés avec les cadavres des premières victimes de cette folie meurtrière et colossale, achevaient le travail, dévorant les rescapés. Anathos avait dressé une entreprise funeste qui ne rencontrait, jusqu'alors, aucune résistance. Aux côtés des Infernaux, quatre généraux, reflets parfaits et démoniaques des défunts Légendaires, il règnerait sur les cendres brûlantes d'Alysia !

Anathos avait un autre remède à la présence dérangeante des humains : la maladie. La peste du dieu maléfique décimait par milliers les petits villages du globe, tout aussi efficace qu'une des attaques spectaculaires dont il avait le secret. Il n'y avait plus rien à faire pour ces malheureux, la maladie les emporterait tôt ou tard et leurs villages ne seraient alors que des cimetières.

Pendant deux ans, Alysia avait souffert, maudissant ses dieux pour leur abandonner pareil fléau. Pendant deux ans, la vie s'était consumée sous les yeux impuissants des héros, des rois, des soldats. Pendant deux ans, la planète meurtrie avait cherché une dernière lueur d'espoir, une étincelle qui empêcherait la fin de se profiler.

Cette lueur d'espoir, les Légendaires auraient dû l'incarner, pour le salut de leur monde comme par vengeance. Anathos leur avait déjà pris tout ce qui était possible de prendre. Il ne leur restait qu'une vie misérable, une vie qui paraissait dénuée de sens. Alors comment fuir le combat ? Oui, comment ? Il n'en avait jamais été question, jamais un seul de ces héros n'avait songé, ne serait-ce qu'un seul instant, à passer le flambeau. Il aurait été tellement moins pénible de se laisser mourir avec cette planète, de s'y éteindre comme n'importe lequel de ses habitants. Mais ce privilège, les Légendaires se l'étaient refusés !

Jadina se relevait tout juste de ses blessures. Elle qui avait bravé les mines d'Orchidia en quête d'un pouvoir absolu, d'une puissance magique capable d'égaler celle de son bâton-aigle, aujourd'hui perdu. Une quête qu'elle remplit au prix de ce qu'il lui restait encore, un don précieux qu'elle sacrifia sans hésiter, son humanité. Car le prix à payer ne serait jamais trop élevé, elle en revint plus forte, métamorphosée, presque méconnaissable. L'Emeraudia était venue à bout de la princesse intelligente, mais égoïste et superficielle qu'elle avait été. Il ne restait plus rien de cette fille, plus rien de la Jadina solaire. Comme si cette enfant était morte ce jour-là, au même titre que son fiancé, lorsque la lame du dieu s'était logée dans son ventre. Comme si l'être qui la remplaçait n'était qu'un pantin, une coquille vide alimentée par la fureur et la vengeance.

Gryf avait perdu un ami. Son meilleur ami, le garçon qu'il avait aimé comme un frère. Il avait caressé la joie des derniers instants, de cet ultime combat à ses côtés, ignorant encore qu'il s'agissait du dernier et qu'il lui faudrait bientôt le combattre lui. L'homme-bête avait lui aussi cherché un moyen de revenir plus fort, plus performant. Son séjour à Jaguarys avait été l'objet de ses désirs et on lui avait donné la chance de provoquer sa revanche. La prêtresse Sheibah l'avait mené dans les bras de Shun-Day et de Skroa. Des mésaventures regrettables qui avaient entraîné des fiançailles et la création d'un Katseye. De quoi combler le vide que ce jour maudit avait causé, de quoi se fixer un objectif dont il n'était pas sûr de réchapper.

Shimy avait perdu une part d'elle-même, une part de son être que le dieu maléfique lui avait volée. Il l'avait privée de sa vue, elle qui aurait dû être sa réincarnation. Il l'avait condamnée à la culpabilité, à se fustiger éternellement de n'avoir pas été l'enveloppe choisie. Danaël avait payé à sa place, comment se le pardonner ? Les larmes avaient fini par se tarir, leur source, ces yeux morts, ne produisaient plus rien. Il avait fallu faire de cette tare, de ce handicap qu'elle avait elle-même qualifié de honteux pendant ces semaines de déni, un atout. Elle s'y était engagée et, de surcroît, elle y était parvenue !

Razzia, le colosse au corps mutilé... Un homme fort, la personnification de la force brute. Un homme que seul un dieu pourrait démolir. Et Anathos y était parvenu ! Il avait démoli, pierre par pierre, l'édifice du colosse de Rymar. Il avait souffert jusqu'à ce que la douleur physique, celle de ce membre arraché, de sa chair dépouillée, à la souffrance morale qui le torturait. Il lui manquait quelque chose et Amy était venue remplacer le bras qu'il avait perdu. Mais il savait que seule une revanche saurait lui rendre sa dignité d'homme.

Ainsi, alors que tous les Alysiens croyaient leurs héros morts, ils s'étaient relevés dans l'anonymat le plus total. Ils avaient disparu deux ans entiers, préparant leur retour avec une minutie calculatrice. Ils s'étaient entraînés chacun de leur côté, ils avaient bravé les chimères que ce jour maudit avaient vu naître. Ils étaient nés à nouveau, dans la splendeur passée de la gloire, dans la terre infertile de leur monde porté à sa ruine.

Alysia se relevait péniblement de cet affront. Déjà, les âmes les plus nobles de la planète construisaient un plan, le plan de la dernière chance. De grands noms qui s'alliaient pour former la plus grande armée qu'il n'ait jamais vue le jour.

Jadina s'était dressée, à la mémoire de son fiancé disparu, sur le chemin du dieu banni par ses pairs. Elle avait endossé le rôle de leader en sachant qu'elle n'y avait pas sa place. Elle avait porté le fardeau seule, le souvenir douloureux, à vif, de Danaël au côté. Elle menait désormais les Légendaires dans un combat qui pourrait bien être le dernier.

Qu'importe ! Elle promit que l'ère d'Anathos s'éteindrait avec eux. 

Derrière les Héros [Les Légendaires]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant