Derrière les Héros [Les Légendaires]

Nuit saline

Danaël ne parvenait pas à trouver le sommeil.

Le leader des Légendaires avait espéré sombrer dans les bras de Morphée après s'être confié à son meilleur ami. Alors, le cœur plus léger, il avait fermé les yeux de toutes ses forces, bercé par les flots que le navire coupait impérieusement.

Danaël, après bien des années, était passé maître dans l'art de se voiler la face. Son ami, Gryf, n'aurait pas manqué de se gausser de lui et des secrets ridicules qu'il cachait jalousement. Des secrets que les années n'avaient pas rendus moins troubles, mais dangereux, moins charmeurs.

Le blond, couché sur sa couche, luttait. Il luttait afin de résister aux appels que son corps comme son âme lui insufflaient. Seule sa fierté d'homme et son désir de ne pas voir ressurgir ce qui avait failli l'anéantir, lui permettaient encore de résister. Ses yeux clos laissaient entrevoir des flashs brefs, mais intenses, des images qui coloraient ses joues d'une couleur vermeille qui lui fit honte.

Pourquoi lui, entre tous les hommes ? Pourquoi cet énergumène insupportable, un prince de surcroît ?

Danaël percevait les remous de la mer sous la coque du bateau ainsi que les ronflements de son ami. Gryf dormait paisiblement et le blond savait qu'il serait difficile de le tirer de son sommeil. Il était seul. Seul avec une folle envie de s'évader de cette chambre et de visiter le bateau. Le visiter seulement ? Une fois encore, il se cachait la vérité, il refusait d'admettre l'évidence. Le bateau était d'un confort certain, mais s'il en traversait l'ensemble, ce n'était certainement pas pour en admirer les qualités, mais pour faire une heureuse rencontre.

Danaël ouvrit les yeux, à nouveau alerte. Aucun danger ne le menaçait, si ce n'était lui-même. Pourtant, il bondit sur ses pieds et ne prit pas la peine de se vêtir plus qu'il ne l'était déjà. Pourquoi ? Provocation supplémentaire, ou réflexe inconscient ? Dans les vapeurs tentatrices de la nuit, tout semblait porter un sens. Un sens qu'il percevait jusqu'aux tréfonds de ses entrailles.

Sans un bruit, le chevalier déverrouilla la porte, la respiration suspendue. Il jouait à un jeu décidément bien dangereux, mais le danger excitait la moindre parcelle de son corps parfaitement éveillé au milieu du bateau endormi. Ombre parmi les ombres, il se glissa à l'extérieur et entreprit de se sortir vivant du labyrinthe que constituait le navire. Il devait bien se l'avouer, il n'avait pas été bien attentif aux explications du prince à ce sujet, trop obnubilé par d'autres détails d'ordre pratique. Il s'en morigéna intérieurement, le pas pressant, le cœur au bord de l'implosion.

Cette fois, aucun alcool ne venait brouiller ses pensées et encourager ses actes. Il était sobre, parfaitement maître de ses moyens et horrifié de réaliser combien cela ne changeait rien. Les seuls effluves d'alcool ingurgités étaient ceux du repas digne d'un festin donné par leur hôte, un ridicule verre qui ne suffirait pas à le soustraire aux réprimandes de sa conscience. La dernière fois, cette fois si lointaine dont l'âme refusait de corrompre le souvenir, il avait pu se rassurer, rejeter la faute sur cet individu qui avait vilement abusé de sa condition, mais ce ne serait pas le cas aujourd'hui. En quittant sa chambre, Danaël venait de se plonger dans d'irrésistibles tourmentes.

Il atteignit enfin le pont entièrement désert. Il huma une saveur saline qui galvanisa son audace. L'espace d'un instant, la peur se retira pour laissa place à la certitude, à l'inacceptable évidence. Il savoura cette saveur interdite, s'en délectant, les yeux clos. Le vent marin s'emmêlait dans ses cheveux et s'infiltrait sous le fin vêtement qu'il portait. Il n'en vint même pas à regretter de s'être davantage habillé avant de titiller le destin. Grave erreur.