La fille dans le miroir

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     Qu'elle était cette impression ? Devant mon miroir, dans ma cabine personnelle du Zéphyr, j'observai mon reflet en détails, redessinant tous mes traits avec précision. C'était moi. C'était bien moi, et pourtant, je ne me reconnaissais pas.

Ces lèvres charnues, ces yeux émeraude qui traduisaient si bien mes émotions, cette peau mâte, ses cheveux gris, presque noirs, noués en natte retombant négligemment sur mon épaule. Aucun doute, c'était bien moi, mon visage était toujours le même. Je serrai les points, ce n'était pas nouveau, depuis toujours, j'avais cette intime conviction, cette petite voix, en fond de moi, qui me chuchotait que, je n'étais pas celle que je pensais. Je n'étais pas le capitaine du Zéphyr, celle que personne ne défiait par peur de représailles, celle que l'on craignait secrètement. Je ne voulais pas y croire, ce n'était pas possible, trop douloureux à envisager.

A chacune de mes actions, la même question : pourquoi cette sensation de vide, de solitude ? Comme si une partie de moi refusait d'être la Jadina que je suis, qui se refusait à moi. Je ne comprenais pas, alors, je l'ignorai, convaincu que ce n'était pas important.

Et puis, il y avait ces flashs, ces visages que je voyais un court instant, pour disparaître juste après. Me faisant ainsi douter de leurs véritables existences. Je m'efforçai alors d'oublier, je secouai la tête de droite à gauche, fermant mes yeux jusqu'à apercevoir des points de couleurs. Me persuadant d'un fait que je savais réel, je refusais simplement d'ouvrir les yeux.

Du bout des doigts, je caressai mon reflet, comme quelque chose de réel, de matériel. Et, doucement, je souris. Voilà à quoi j'étais réduite, à l'incertitude de sa propre existence et de la vérité de son être. C'était ridicule, risible, et tellement pathétique. Terriblement douloureux. Toujours cette douleur, ce creux au milieu de la poitrine, ce cœur qui me fait mal, ce vide immense qui se creusait chaque jour d'avantage. Je souriais toujours, tristement, comme si, pour la première fois, je me rendais compte que quelque chose n'allait pas, que ce comportement n'avait rien de normal.

Quelque chose sembla se briser en moi. J'étais semblable à un château de carte, et, aujourd'hui, alors que le vent soufflait trop fort, le château s'était brisé. Tout est détruit, les morceaux gisent au sol, misérable, impuissant, c'était moi. De grosses larmes coulaient le long de mes joues, certaines d'entre elles restaient coincés aux commissures de mes lèvres, tandis que d'autres tombaient sur le sol dans « ploc » audible. J'essuyai rageusement le résidu salé d'un mouvement brusque du poignet, maudissant ma faiblesse.

Soudain, le reflet se modifia sous mes yeux écarquillés. La natte disparue, remplacé par une coupe plus courte, les vêtements furent également remplacés. Je reculai d'un demi pas, effrayée. La fille dans le miroir était à la fois si semblable et si différente que la personne que j'étais.

La fille sourit doucement, la commissure de ses lèvres se relève légèrement. Malgré ça, ses yeux témoignaient d'une grande tristesse, le regard de celle qui en avait trop vue, celle qui était chargée d'un fardeau trop lourd pour être portée. Le reste de son visage était de marbre, comme caché par un masque d'impassibilité. Le sourire mentait, il était triste, forcé.

Je lisais maintenant de la pitié dans ces prunelles émeraude, elle avait pitié de moi. Mais ... Pourquoi ? Une réalité, une vérité s'imposa soudain à moi, déchirante de simplicité et de dureté : Elle était mon passé, je suis son future. Je vois qui j'étais et elle, se qu'elle sera.

Je caressai brièvement le reflet, ma vision obscurcie par mes larmes qui coulaient toujours, inondant mes joues, ravivant la plaie béante de mon cœur. Comment était-ce possible ? Comment cette fille dans le miroir pouvait-elle être moi ? Que c'était-il passé ? Chaque question était suivit d'une autre, toutes me faisaient l'effet d'une flèche traversant ma chair, me blessant assez pour me faire souffrir, mais pas suffisamment pour m'achever. Je pouvais presque sentir mon sang couler des multiples blessures, me laissant à l'agonie sans rien pour m'achever. J'en savais trop, je ne voulais plus rien savoir, rien entendre. Je sentais ce fardeau sur mes épaules, je tremblai sous son poids, le poids de la vérité.

J'avais été aveugle, aveugle à la vérité, aveugle à mon propre reflet, aveugle à la fille dans le miroir. J'avais simplement gagné du temps, j'avais vécu dans l'ignorance, mais mon passé m'avait rattrapé sans que je m'en aperçoive. Comme un coup de poignard dans le dos, j'étais mon propre bourreau, prisonnière de moi-même, de mon ombre, de mon reflet.

C'en était trop. J'échangeai encore un regard avec cette fille au regard plein de pitié et de tristesse pour ce qu'elle était devenue, je m'écroulai. Mes doigts glissèrent contre la surface lisse du miroir et mes genoux rencontrèrent douloureusement le sol. Mais je le sentis à peine, ce n'était qu'un mal parmi d'autres, bien plus présent et cruel. J'étais complètement anéantie, gisant sur le sol de ma chambre, une main accrochée à l'objet de ma perte. Mon corps meurtri et blessée par la plus perfide des armes. La fille du miroir n'était plus là, perdue pour toujours par ma faute. 

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