Des masques à ôter

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Le prince s'immobilisa.

Devant l'imposante porte qui le menait à la salle du bal, le temps se suspendit. Il prit une inspiration, inclina le visage vers le sol et ferma les yeux.

Les échos d'une balade lui parvinrent. La porte le séparait de ce monde où les apparences juraient, où la vérité se maquillait de convenances.

Comme souvent, Halan était saisi d'une envie de déguerpir. Un désir profond, sourd, fou, de prendre ses jambes à son cou et de s'en aller. Il y en aurait d'autres, des comme lui, qui n'hésiteraient pas à prendre sa place et à l'occuper. Des plus sages, des plus scrupuleux, des moins scrupuleux, des moins humains.

Le pouvoir réclamait son dû, souvent, et lorsqu'il fallait comparaître, le prince s'interrogeait. Fallait-il réellement se prêter au jeu ? Ce soir, il était d'humeur chancelante. Une de ces humeurs versatiles qui s'achevait dans une colère noire, violente, qui lui vrillait les entrailles, ou dans une langueur terrible, une ivresse telle qu'il en oubliait tout.

Jusqu'à l'identité de celui, de celle, qui avait réchauffé ses draps.

Jusqu'à la saveur de leurs étreintes et le goût de leurs promesses ravalées.

Halan approcha sa main de la poignée. Elle tremblait.

Qui était ce prince qui frémissait ainsi ? La houle de la colère lui lécha les orteils. Décidément, la rage lui était plus chère que la honte dans le tumulte de ses émotions.

Dans son dos, on se racla la gorge. Halan haussa un sourcil sans toutefois se retourner. Ces insectes l'importunaient trop souvent au nom de futilités. Il se moquait éperdument de la couleur de la nappe, de la présence exceptionnelle de l'un de ces aristocrates mal débouchés. Il se fichait de leurs sourires, de leurs grimaces, de leurs requêtes égoïstes ou bien-pensantes.

En fait, il se fichait d'eux tous.

Seulement, cet insecte-là se révéla plus insistant, moins prompt à céder à la peur que suscitait les caprices du prince :

— Prince.

Sous l'étoffe délicate, les épaules de l'intéressé se tendirent.

Quoi, encore ? aurait-il aimé maugréer.

Le valet prit son silence comme un encouragement :

— Votre masque, Altesse.

— Plaît-il ?

— Vous avez oublié votre masque. Peut-être aurait-il été bon de rappeler à son Altesse que la soirée exige de ses participants le port d'un masque afin de...

— Non, je vous exempte de ce devoir, trancha Halan, avec impatience.

Dans son sillage, le valet courba l'échine. Il était quelconque, identique à tous ceux qui grouillaient dans le palais. Du moins l'était-il aux yeux d'Halan. Car il imaginait bien que ce pantin parfaitement obéissant devait avoir un nom, peut-être même une épouse, quelques mômes braillards dont il devait s'occuper.

— Eh bien, qu'attendez-vous ? Donnez-le-moi !

L'homme s'exécuta sans protester. Il tendit un masque élégamment déposé sur un écrin de velours. Halan baissa les yeux pour en admirer la beauté. Doré, il semblait avoir été conçu pour être admiré, pour susciter la jalousie et l'envie. Des fioritures, un petit bijou taillé comme s'il était fait de dentelles. Une attention portée aux détails et qui ne pouvait forcer que la fascination. Halan risqua l'ébauche d'un sourire.

Ce masque lui plaisait. Il consentirait à le porter.

Il s'en saisit et noua l'attache à l'arrière de son crâne. Le masque recouvrit son visage jusqu'à ne découvrir que sa bouche. Un sourire éphémère fendit ses lèvres avant qu'il ne pénètre dans l'antre.

Derrière les Héros [Les Légendaires]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant