Vous et moi

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Le soleil se couche et les lueurs qui forment ce sordide crépuscule sont sur le point de disparaître. Derrière l'horizon, la forme ronde de l'astre se perd, communie avec la terre sans que personne n'y prête attention.

Personne ? Non, un unique spectateur demeure, les yeux rivés vers le ciel. Qui est-t-il ? Nul ne le sait et sa silhouette gracile comble ce vide omniprésent. Cet être n'a ni visage ni identité propre, il est qui se voit en lui, qui peut s'en sentir proche.

Il observe sans prendre part au conflit, trop fatigué pour se lever ou même agir. Il sent pourtant la catastrophe qui se prépare, l'horreur qui se matérialise subitement. Tout ce Mal reste minime mais ça ne saurait tarder. Les scénarios futuristes les plus sombres le percutent et il accuse le coup, d'apparence impassible. La douleur est interne, invisible et venimeuse.

Le spectateur se tord un court instant et son visage, ce visage dont les traits ne se décrivent pas, se décompose. Un spasme parcourt son corps avant que le calme ne revienne.

Ce n'est rien. Rien du tout ! En vérité, c'est déjà fini pour cette fois. Une énième crise qui accompagne le départ du soleil. La lune ne tarderait pas à faire son apparition, elle et ses interrogations intempestives. Ses cruels effluves ne tarderont pas à le submerger entièrement. Une torture lente qui prendra fin après l'aube, fidèle au cycle infini qu'est son existence.

Il soupire à peine, désespéré et honteux. Un léger sourire triste flotte à ses lèvres et il reste assis, encore et encore. Il semble que la force de se lever ne lui viendra plus jamais. Il est épuisé, vieilli prématurément par l'angoisse des responsabilités. Son corps sans réel particularité semble porter le poids de tout un monde. Peut-être même est-ce chose réelle ?

L'horizon se teint de rouge et le soleil se couvre de sang. Comme si l'hémoglobine se rassemblait en ce lieu absurde et intouchable. Un symbole que personne ne saurait interpréter.

Cette silhouette glacée en a vu couler du sang. Des litres et des litres de sang sans discontinuer ! Des corps à couvrir entièrement le sol, des regards vides qui ne verraient jamais plus. Des vies brisées en un instant et des espoirs détruits sans la moindre once de pitié. L'être n'avait jamais pu s'y faire ... Cette horreur lui restait étrangère malgré les années.

Voilà de quoi serait fait le monde après sa mort. Cette terre à l'agonie auquel il n'apporte pourtant aucune aide. Il s'en veut quelque part et les liens douloureux de la culpabilité se referment autour de son corps faible et décharné.

-Je suis désolé.

Cette voix commune lâche quelques syllabes pour tout soupir. Comme une plainte, un aveu, une litanie. Le timbre éraillé et provenir des abimes brûlantes de la terre.

Son regard ne quitte pas le ciel qui se voile peu à peu. L'obscurité dépose son trouble ici et là, se nourrissant du Mal qu'elle peut encore introduire. La fin sera bientôt là et en douter restera vain. L'espoir meurt telle la lumière qui s'éteint, brutale et sans issu. Les derniers cris d'agonie suivent le crépuscule, la nuit peut prendre son éveil.

Une larme unique roule sur la joue de cette personne anonyme. La marque de son désespoir, de sa tristesse et de sa honte. Elle aussi s'éteindra bientôt, comme les saisons, comme la vie elle-même.

Qui est-elle ? La question subsiste et restera orpheline de réponse. Le mystère demeure complet et personne n'est là pour l'élucider.

Cette personne n'a pas de nom, pas de visage, pas même d'identité à proprement parlé.

Cette personne, c'est peut-être bien le monde entier qui se lamente de ses erreurs.

Cette personne, c'est peut-être bien la Vie qui pleure sa perte et ses morts.

Cette personne, c'est peut-être bien le fruit d'une imagination enfantine et potentiellement blâmable.

Cette personne, c'est peut-être bien un mirage, le futur qui nous est réservé.

Cette personne, c'est vous et moi. Peut-être une part d'eux aussi, de ces êtres qui ricanent et ne comprennent pas. Une part de ce monde qu'il nous suffirait de plaindre, de protéger. Une part de déni que l'on cache au fond de soit.

Cette personne, c'est tout de moi et une infime part de votre personne. Celle qui vous chuchote de l'aide et que vous taisez, tout aussi vite.

Cette personne, elle s'apprête à se taire pour l'éternité. Elle espère presque naïvement que l'on se batte à sa place puisqu'elle s'est tant battue. Alors elle murmure, dans un dernier souffle de vie et dans l'espoir d'être entendue :

-Adieu, Alysia.


Un OS qui me tient à coeur car il introduit ma pensée à celle de Jadina. Je me suis imprégnée de l'ambiance et c'est pour cette raison que ce texte est aussi personnel.  

Derrière les Héros [Les Légendaires]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant