Liberté chérie

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Ton horizon se résume à ses barreaux, à la cellule que tu occupes depuis l'aube de ta vie. Peut-être que, avec le temps, tu as fini par te persuader que cette existence ne pouvait en être autrement. Peut-être que tu t'es fait une raison après de si longues années.

Un monstre tel que toi ne doit pas quitter sa cage.

Tu te prénommes Samaël et tu n'as guère connu mieux que cette vie de misère. Tes yeux se sont toujours arrêtés à la frontière de ces modestes appartements et de l'arène où tu joues ta peau. Un monde si vaste entravé par des barreaux. Des sempiternels liens dont la bête que tu es a appris à tolérer.

Mais rien ne chasse véritablement le monstre. Rien, pas même le fouet que ton maître te fait goûter. Menthos l'ignore sûrement, mais croire qu'il peut te soumettre n'est que folies. Seul ton rêve, celui qui régit l'entièreté de ton existence, te contraint. Ce maître cruel est ce qui se rapproche le plus d'un parent aux yeux de l'enfant que tu as pourtant cessé d'être bien jeu. Un père brutal qui ne vit que pour l'argent et le prestige de son écurie.

Une écurie... Un terme bien dévalorisant, bien insultant, pour vous décrire indirectement vous, les monstres qui y siègent.

Des Monslaves.

Des animaux amenés à se battre jusqu'à la mort pour le bon plaisir d'ivrognes que le spectacle diverti. Il faut satisfaire le public, ton maître te la suffisamment dit et répété. Ainsi, ta vie dépend du circuit, cette insolite course contre la mort que tu as, jusqu'alors, toujours gagné.

Menthos a su révéler le meilleur en toi. Il a su construire une machine à tuer experte en l'art de faire mourir. Le chemin aura été pénible et l'homme qui t'a formé n'a jamais fait preuve de la moindre tendresse, même lorsque les larmes ruisselaient sur tes joues.

Les larmes se sont taries, la créature s'est endurcie.

Ta mère t'a vendue pour un sac de kishus. Tu ne valais guère mieux que cet or et Menthos n'aurait jamais prétendu le contraire. Il a pourtant perdu des années à transfigurer le nourrisson braillard en un Monslave terriblement talentueux. Talentueux d'une bien mortelle manière.

— C'est donc tout ce que tu as dans le ventre ? Pour ce résultat, j'aurais mieux fait de laisser ta catin de mère te jeter aux ordures ! Relève-toi ! Relève-toi, et montre-moi un peu ce que tu as dans le ventre !

Les injures. Les injures à n'en plus finir, les injures qui pleuvent sur ton corps et que tu ne sais pas arrêter. Les injures que tu as toujours connues comme unique forme de langage. Tu ne connais ni empathie ni solidarité, rien que l'instinct de survie le plus primaire qui soit. La nuit même la voix de ton maître hante tes songes et formate un esprit qui perd de sa lucidité, de bon sens, de son humanité.

— Debout ! Je n'ai pas de temps à perdre avec un vaurien ! Bats-toi !

Alors, tu fermes les yeux plus forts. Mais rien y fait, la voix ne cesse pas. La folie ne t'a pas encore anéanti et tu ignores ce que l'avenir te réserve. Tu rêves encore à un avenir meilleur, à un avenir tout court.

Les promesses, tu les connais sur le bout des doigts. On t'a promis ta liberté, on t'a promis la richesse et même la célébrité. Au nom de quoi ? Au nom de la vie de toutes ces bêtes qui, comme toi si elles ont les capacités nécessaires pour en émettre la réflexion, espèrent se libérer de leur chaîne ? Oui, c'est fort probable, en effet.

Et qu'en feras-tu, de ta liberté chérie ? De la richesse à laquelle tu aspires lorsque la vie de ton adversaire l'abandonne ? Tu ne t'es jamais posé la question. Mais cela viendra lorsque tu auras atteint tes 1000 points de grâce, sans aucun doute ! Tu te bats avec fureur dans cet objectif, avec une crédulité encore enfantine. Tu éventres tes adversaires, ces pantins monstrueux auxquels tu refuses de ressembler. Tu décapites les rêves trop gourmands de ceux qui pourraient bien détruire le tien.

Dans l'ombre de ta cage, le prédateur rumine sa vengeance. L'ironie du sort à déjà arraché tout ce qu'il y avait de bon en lui au commencement. Tout ? Non, bien sûr et une rencontre lui fera bientôt comprendre le contraire. Lui ne manipule pas le destin, il ne connaît pas cette figure féminine qui, d'un geste, bouleverse le sort. Sa pensée toute entière est dirigée vers une consécration bien simpliste.

Car au loin, dans le crépuscule sanglant de l'hémoglobine de ses victimes, Samaël l'indomptable percevait sa chance. Une chance à l'humeur changeante qu'il saisirait dans le cœur encore palpitant de celui qui mourait pour qu'il puisse vivre. Le grand Monslave y cueillerait sa liberté et peut-être l'espoir fané de son humanité bafouée.


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