Le monde et ses héros

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La nouvelle était tombée.

Quelque part, le monde aurait pu se douter. Le monde aurait pu comprendre que l'origine de ses malheurs n'était pas commune. Qu'il ne pouvait s'agir que de l'empreinte divine.

D'abord la collision des lunes, puis la succession de catastrophes qui avait ébranlé les deux mondes. Il n'en avait pas fallu davantage pour que le chaos s'abatte et que la mort sévisse avec sa gourmandise habituelle. Les héros avaient contemplé le désastre avec, dans la bouche, une saveur particulière. Car à l'impuissance se mêlait un sentiment particulier. Ils avaient connu le danger et savaient le reconnaître.

Ce danger-là n'avait rien de naturel.

Pire, les plus grands d'entre eux furent saisis d'un pressentiment terrible.

Cette mort qui se donnait par milliers, qui s'offrait volontiers, n'était qu'au début de sa sinistre entreprise.

Mais, ce matin, la nouvelle s'était répandue. On avait un coupable, un nom, une entité à blâmer. Quelque part, Alysia et Astria auraient peut-être préféré rester dans l'ignorance. Elle était sans doute préférable au visage inattendu que cette menace arborait désormais. L'improbable avait eu lieu, l'impensable s'était abattue sur le monde meurtri.

Les vaisseaux avaient envahi le ciel. On avait annoncé le retour des dieux. Après des millénaires de silence et quelques rejetons renégats, les entités immortelles regagnaient les mondes qu'ils avaient crées et abandonnés.

Et ils n'y remettaient pas les pieds en protecteurs, en parents, comme certains l'espéraient encore. Ils n'étaient pas venus sauver leur création des catastrophes qui la frappaient. Ils étaient de retour pour porter pour incarner le nouveau fléau de ce monde.

Si le doute avait persisté quelques brefs instants, les bains de sang balayèrent les quelques hésitations. Les émissaires des dieux, les Apôtres, à la manière de sanglants généraux d'un dieu jadis défait, répandirent une nouvelle onde de terreur à travers les mondes. Bien sûr, ces sosies avaient été détruits par leurs modèles, mais ils appartenaient à un autre temps. Il semblait également que ces héros appartenaient, eux aussi, au passé. Qu'ils n'étaient plus que l'ombre de leur triomphe et que le temps avait fait son œuvre.

Impitoyable, même envers les plus grandes figures de ce monde.

Ce n'était certainement pas eux qui iraient prétendre le contraire depuis leur retraite. Les Légendaires goûtaient à un peu de quiétude et menaient leur vie, chacun de leur côté. Une vie aussi normale qu'elle pouvait l'être, surtout lorsqu'il était question d'êtres d'exception. Ils se surprenaient à aimer cette existence paisible et à savourer ses bonheurs simples.

Du moins, jusqu'à ce que les récents événements n'emportent l'illusion d'un avenir sûr.

L'une de ces héroïnes arborait, ce matin, un sourire nostalgique, d'une tristesse douloureuse. Elle pensait à ses enfants, auxquels elle aurait aimé pouvoir léguer un monde dans lequel grandir. Un monde sans danger, un monde idéal. Elle s'était battue toute sa vie au nom de la justice et elle s'accorda le luxe d'une pensée égoïste. Dans quel monde Nadia et Aidan grandiraient-ils ? Sa gorge se noua.

La main chaude et rassurante de Danaël se posa sur son épaule. Il s'était approché sans un bruit, mais elle ne sursauta pas. Ces gestes du quotidien, d'une délicieuse simplicité, elle s'en enivrait jour après jour. Le commun des mortels ne prêtait que trop peu d'attention à ces détails insignifiants. La première caresse du soleil sur ses joues, l'odeur réconfortante d'un gâteau tout juste sorti du four, la saveur inimitable de sa friandise préférée, les disputes des jumeaux, leurs babillages incessants, leur présence bruyante, mais indispensable, Danaël... Jadina avait trop vécu pour ne pas savourer ces cadeaux et pour les laisser couler, comme s'ils ne valaient rien.

Derrière les Héros [Les Légendaires]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant