L'écrin nocturne

87 4 0
                                    

Solaris ouvrit la porte de sa chambre avec la ferme intention de s'en évader.

Les lèvres serrées, comme si sa bouche réduite à une fine ligne étoufferait les plaintes de la porte, elle écarta le battant avec précautions.

L'odeur de la nuit s'humait dans le couloir et un frisson traversa l'avant-bras de l'elfe.

La nuit sonnait comme une invitation et elle ne résistait jamais longtemps.

Un regard à gauche, un long regard à droite, elle s'aventura à l'extérieur. Les couloirs étaient déserts et Solaris percevait à peine l'écho lointain d'une conversation. Le sommeil avait déserté et elle n'en était pas l'unique victime.

La nuit était fraîche. Elle regretta de ne pas s'être couverte en franchissant le pas de la porte qui menait vers l'extérieur. La végétation luxuriante de l'Arborès Elementa les protégeait des vents trop violents, mais pas des températures saisonnières.

Solaris rejeta le visage en arrière, battit des paupières. L'air frais revigorait sa peau et aiguisait son impatience. Son regard se figea devant elle, droit sur la forêt et, faisant fi de toute prudence, elle s'élança.

— Puis-je savoir en quel honneur vous permettez-vous d'outrepasser le couvre-feu ?

La voix familière, grinçante, de Shyska glaça le sang de Solaris. Celle-ci s'immobilisa, se tendit et imposa à ses muscles de se relâcher sur-le-champ. La directrice avait l'œil avisé, l'œil vif, elle ne se laisserait pas dupée par un mensonge si elle n'y mettait pas les formes. C'était à Solaris de se montrer convaincante, même si pour l'heure, elle brûlait d'envie d'utiliser sa magie pour creuser un trou suffisamment large pour l'accueillir.

— Je n'arrivais pas à trouver le sommeil, madame la directrice.

Le secret d'un bon mensonge était le naturel et ne surtout pas broder excessivement autour de la question. Cela ne servirait qu'à prouver qu'elle avait réfléchi à l'interrogation avant qu'elle ne lui soit posée. Cela ne jouait pas en faveur de sa prétendue innocence.

Solaris se retourna, le plus naturellement du monde. Elle savait mentir. Des années qu'elle échappait à la surveillance de ses aînés pour s'entraîner. Elle avait la certitude que Shyska en avait eu vent, à un moment ou à un autre. S'il fallait abandonner ce secret pour préserver l'autre, l'elfe n'hésiterait pas une seconde.

— La cérémonie approche, avança Shyska.

— Oui, et le sommeil est de moins en moins clément.

Toujours cette rudesse dans ses propos. Même lorsqu'il s'agissait de mensonge, Solaris n'arrivait pas à s'en défaire. C'était comme la colère, cela faisait partie intégrante de ce qu'elle était. Comme si quelqu'un, quelque part, l'avait voulu ainsi.

Peut-être pour servir de concurrence à une certaine elfe, n'en déplaise aux pronostics de la directrice.

— Cette promenade a pour unique but de trouver le sommeil.

— Oui, il n'y a que l'air frais pour m'aider. J'ai essayé tous les remèdes.

Shyska était suspicieuse. Solaris savait reconnaître le plissement imperceptible de ses yeux et il ne mentait pas. La directrice se doutait de quelque chose. Les deux, aînée et cadette, se considérèrent dans le calme nocturne et Solaris aurait juré que la vieille femme espérait la voir ployer. Cela ressemblait presque à un exercice destiné à tester sa force mentale.

Derrière les Héros [Les Légendaires]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant