Derrière le rideau

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— Sortez.

Le mot ne s'éleva pas plus haut qu'un murmure. Les gardes n'eurent pas la moindre réaction. Juste un battement de cils un peu incrédule, mais pas l'ombre d'un mouvement.

Le prince froissa la lettre entre ses mains. Les mots se chevauchèrent sous ses yeux et la colère grondait déjà.

Il prit une inspiration, brève, sifflante.

Les gardes auraient dû interpréter ce second signal comme un indice. Ils n'en firent rien.

Un grondement remonta le long de la gorge du prince. Un feulement d'animal blessé à mort, le râle d'une bête prête à attaquer. Le cri lui fendit les entrailles d'un coup et il gueula :

— SORTEZ !

Le prince ferma les yeux de toutes ses forces. Des étoiles dansaient, imprimées sous ses paupières. Il lui semblait admirer le ciel étoilé de Sabledoray, un soir d'été, lorsque la chaleur se faisait moins insoutenable. Lorsque la touffeur s'ouvrait sur une tiédeur agréable pour l'accueillir dans son cocon.

Les étoiles de ses paupières n'étaient pas belles.

La chaleur qui l'inondait ne l'était pas davantage.

Le prince tremblait de tous ses membres au milieu de la chambre.

Il ne rouvrit pas les yeux pour relire la lettre abandonnée par Jadina. Il n'en avait pas besoin. Les mots qu'elle lui avait laissés, jetés sur le papier comme un absurde adieu, lui resteraient. Il ne les oublierait pas de sitôt.

La porte de sa chambre s'ouvrit dans un son étouffé et Halan conserva les yeux clos. Il tenait à cette distance entre lui et le monde.

— Prince.

— Va-t'en.

Ce fut encore un murmure, aussi bas que le bruissement qui remontait jusqu'à lui.

— Mon prince.

Il n'avait pas rouvert les yeux. Il les gardait fermés, comme un caprice d'enfants, et il se rappelait cet âge qu'il abandonnait à regret.

C'était curieux, mais il revivait à la fois ces instants d'insouciance pour la dernière fois, et il expérimentait une colère véritable. Si colossale qu'elle lui resterait, qu'elle modèlerait l'adulte qu'il était en passe de devenir.

Le prince eut un grand frisson.

Un soubresaut le traversa de la racine de ses cheveux à la plante de ses pieds. Il crut qu'il allait vomir, qu'il allait exploser, qu'il allait raturer cet univers faussement parfait d'une empreinte sanglante.

— Halan.

La voix, délicate, suave, le rappelait à l'ordre. Elle l'implorait de se rattacher à la réalité et Halan eut envie de lui échapper.

— Dégage, intima-t-il, très bas.

Sa voix était une mise en garde. Un avertissement qu'il n'était pas bon d'ignorer. Pourtant, la présence s'approcha encore jusqu'à l'effleurer. Elle le contourna pour se figer devant elle.

Halan eut envie de croire que cette présence était plutôt féminine. Que ce corps aux courbes sèches se dotaient d'accents moins sévères et d'une délicieuse rondeur.

— Vous me l'ordonnez, mon prince ?

Une voix d'homme, une odeur masculine. Tous les sens d'Halan lui hurlaient qu'il se volait la face et il choisit d'abandonner cette illusion. Jadina était à milles lieues de là et elle ne reviendrait pas.

Derrière les Héros [Les Légendaires]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant