Les amants de la terreur

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Le jour se couchait sur Alysia.

Casthell était déjà baigné par une nuit d'encre, mais jamais un rayon de soleil ne s'aventurait sur sa silhouette spectrale. Ici, le règne de la nuit perdait tout son sens. La présence maléfique de Darkhell, ou d'une entité au moins aussi puissance, avait annihilé jusqu'aux choses les plus naturelles de ce monde. Ici, la nuit se faisait éternité et la noirceur n'en finissait pas.

Ténébris rongeait son frein. Elle avait eu une journée particulièrement éprouvante à la tête des armées de son père. Les désirs de conquête de ce dernier grandissaient chaque jour davantage et ne semblaient connaître aucune limite. Un jour, Alysia toute entière connaîtrait son empreinte, sa marque de terreur. Darkhell nourrissait pareille ambition, celle de changer la face du monde, de le dominer, de le ranger derrière un même mot d'ordre, derrière un seul homme. L'unification d'Alysia prenait une ampleur inédite et même les plus grands monarques du monde craignaient le sorcier noir.

Ténébris dirigeait cela d'une main de maître, digne héritière du pouvoir de son paternel. Elle était son double, sa copie parfaite, une version féminine et tout aussi dangereuse. De tout ce pouvoir, la jeune femme était ivre. Ivre de la soumission que ceux qu'elle dirigeait lui vouaient, ivre du pouvoir de vie et de mort dont elle disposait. Ivre de la peur qu'elle suscitait surtout. N'existait-il pas plus doux son que celui des suppliques de sa victime ?

Ténébris replaça une mèche emmêlée derrière son oreille. Elle avait été inattentive ce jour-là, pas tout à fait dans son rôle et son père risquait fort de le lui reprocher. Pourtant, son attention était centrée sur bien plus concret que les éventuelles remontrances du grand Darkhell. Elle, tout ce qui lui importait, c'était son retour. Pour cela, nul besoin de ces montres dont certains s'affublaient, Ténébris savait que Darkhell avait convoqué l'un de ses plus loyaux serviteurs à répondre de ses actes et à exposer la réussite, ou l'échec, de sa mission. La jeune meurtrière n'avait pas pu capter l'attention de cet homme redoutable avant cela et elle ignorait tout de l'état dans lequel il lui revenait.

Korbo était fort, quasi indestructible, mais même un cœur aussi durci que celui de Ténébris pouvait éprouver de la peur. Oh, une peur bien timorée, un sorte de pincement, guère plus, mais le seul fait qu'elle en possède un relevait de l'exploit. Tout comme sa capacité à aimer, à aimer sincèrement.

Ténébris se rendit dans ses appartements et se voila de son inquiétude. Les minutes s'égrenaient et elle finit par en perdre le compte. Un verre de vin à la main, son corps à moitié allongé sur le sofa qui trônait au beau milieu de la chambre, elle patienta. Elle qui n'avait jamais été saluée pour cette qualité, qualité qui lui faisait largement défaut. Finalement, lorsque la porte s'ouvrit sur la carrure impressionnante de son amant, elle retint le réflexe qui l'invita à sauter sur ses pieds. Korbo se trouva là, sur le seuil de la porte, le masque rouge camouflant encore ses yeux et toujours vêtu de ce qui lui servait d'armure, mais qui laissait apparaître la musculature de colosse de celui qui, dans une autre vie, s'était appelé Razzia.

— Korbo !

Ténébris trempa ses lèvres dans le liquide bordeaux et en avala une généreuse lampée. Elle coula son regard rubis sur le visage du guerrier tandis que celui-ci ôtait lentement le masque qui couvrait ses traits durs. Des traits sculptés à la serpe avec une précision rare pour en détacher des angles et des arêtes tranchantes. Ses yeux bruns flamboyaient.

— Comment s'est achevée la mission ? s'enquit Ténébris, avec prudence.

— Achevée avec brio, marmonna Korbo après s'être avancé pour déposer l'une des reliques de l'horreur sur l'un des meubles qui se dressait dans la chambre à la décoration plus que minimaliste.

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