Danse nocturne

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La nuit était tombée.

L'encre s'était écoulée sur les tours hautes et dignes du palais.

Une fois le crépuscule effacé, une fois les dernières lueurs vespérales éteintes, le château se drapait de bien d'autres allures.

Des allures grisantes, enivrantes, et indécemment sensuelles.

Halan aurait aimé se passer de ces jeux, de ces somptueuses mascarades, mais un prince ne pouvait pas tout et s'il existait bien une chose qui échappait à son contrôle, c'était bien la liberté.

Enchaîné au pouvoir, comme une poupée que sa famille exposerait très fièrement, le prince s'y ennuyait surtout. Malgré le monde qui grouillait autour de lui, malgré tous ces anonymes qui le saluaient, une foule de paroles vides sur les lèvres, il se sentait seul.

Inexorablement seul.

Pourtant, il avait retrouvé la musique, cet air entraînant pour lequel il aurait aimé se mêler aux danseurs et laisser son corps exprimer ce que sa bouche taisait. Il n'en fit rien. Le dos droit, le menton haut, il entretenait l'image insupportable qu'il se plaisait à donner. Le prince intouchable, l'héritier qu'on appréciait par convention, non par envie.

— Altesse, souhaiteriez-vous un autre verre de vin ?

Halan opina sans accorder un seul regard à la femme qui le servait. Peut-être tentait-elle d'attirer son attention, peut-être était-elle digne d'intérêt, mais il n'était pas d'humeur à considérer qui que ce soit.

Homme ou femme.

La table qui avait été dressée était somptueuse. On avait finalement opiné pour une nappe rouge, symbole de passion, et Halan approuvait en silence ce choix. Il n'y avait qu'un seul corps qu'il brûlait d'enrouler dans une telle étoffe, et celui-ci ne leur avait pas fait l'honneur de sa présence.

De même, les rideaux tombaient lourdement sur le sol et chaque nuance jouait entre le rouge, le bleu, celui des rois, et l'or. Des couleurs riches qui faisaient la fierté de Sabledoray. Ce soir, le Royaume de Salim avait vu les choses en grand. Des mets raffinés, délicatement relevés comme le voulait leurs traditions, des argenteries du meilleur goût, les meilleurs musiciens de tout le pays, sans oublier son lot de divertissements. Les jongleurs achevaient leur numéro tandis que le repas touchait à sa fin.

— Finalement, laissez-moi la bouteille entière.

— Altesse, je...

Halan sourcilla. Oserait-elle lui refuser ce caprice ? Après tout, Sabledoray montrait son plus beau visage à ses invités issus d'un quelconque royaume voisin sans avoir besoin de lui. L'héritier se moquait bien des alliances de son père. Ce soir, il avait l'esprit volatile, la conscience trop légère et le cœur trop lourd. Les négociations et les affres politiques du pays qu'il dirigerait un jour l'indifféraient et il n'avait nulle envie d'y songer.

— Je ne crois pas vous avoir demandé votre opinion. Laissez la bouteille ici.

La servante obtempéra, faute de mieux, mais son attitude trahissait son hésitation. Était-il bien raisonnable ? Halan avait besoin de quelque chose, d'un remontant afin de supporter le poids de la soirée interminable qui l'attendait. La seule pensée qui lui fut un temps soit peu agréable fut de songer à l'issue de cette réception. La nuit d'abandon, d'interdits, qu'il entendait bien passer.

— Fils, t'ai-je présenté la princesse Anöla ?

Halan se redressa, à peine conscient qu'il avait fini par s'affaisser d'ennui. Personne ne se risquait à lui adresser la parole quand il était dans un pareil état, mesure de sûreté qui témoignait de l'habitude de chacun face au caractère réputé difficile de l'héritier. Celui-ci s'enfonçait alors dans la solitude et en devenait plus infect encore.

Derrière les Héros [Les Légendaires]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant