Sang royal

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La reine Adeyrid veille. Elle ne dort pas, le sommeil ne semble pas prompt à l'accueillir en cette chaude nuit d'été. En vérité, son esprit agité en est certainement la raison mais le secret demeure bien gardé.

Couchée dans le lit royal, elle pense sans un bruit, sans un son. Sa main se rapproche naturellement de son ventre arrondie, comme pour protéger ce qu'elle cache jalousement. Un sourire effleure ses lèvres, alors que joie et mélancolie la traverse. Cette grossesse inespérée fait écho à des souvenirs bien sombres, d'une époque bien lointaine.

Aux yeux de tout Orchidia, l'enfant que la reine porte est le premier. Un cadeau des dieux eux-mêmes. Mais la vérité est toute autre et peu la connaisse, témoin d'un maléfice terrible.

Parce que oui, il y a de cela plusieurs années, Adeyrid avait déjà connu ce bonheur sans pareil. Malheureusement, on lui a privé de sa chair, d'un geste qui restera à jamais encré elle. Darkhell, le sorcier noir, avait enlevé sa toute première fille et l'espoir de toute une dynastie, Ténébris. Personne n'en saura jamais rien et elle ne pouvait que pleurer sa perte, seule et incomprise.

Alors qu'en penser à présent ? Cette femme attend maintenant son deuxième enfant, sans la moindre menace autre que la sienne. Kinder dort paisiblement à côté d'elle, inconscient du trouble qui l'habite. Qui sera cette princesse qui grandit au profit de tout Orchidia ? Quel destin sera le sien ? Le choix ne lui appartient pas et cela, même la reine le sait. Son rôle ne faisait aucun doute, sa chair prendra sa place au moment venu, quel qu'en soit le prix !

Adeyrid se lève, toujours sans un bruit. Les draps glissent sur son corps à peine recouvert d'un mince morceau de soie. Elle traverse une partie du palais, ses pieds nus n'accusant pas le moindre son sur le parquais. Son regard accroche les détails de cette immense demeure, le luxe dans lequel sa fille grandira. Elle ne devrait pas s'en plaindre mais son esprit ne semblait pas prompt à la réflexion cette soirée.

Ténébris ... Que penser d'elle ? La douleur n'était pas partie, la reine en souffre toujours autant, comme d'une perte qu'elle ne peut accepter. Elle imagine souvent son visage, sa vie ailleurs et aux côtés de ce sorcier malintentionné. N'y a-t-il pas pire regret que l'impuissance ?

La reine s'arrête finalement devant les appartements de Vangelis, incapable du moindre geste. Encore une fois, ses mains se portent à son ventre dont le renflement ne peut plus être ignoré. Elle se sent perdue et surtout si seule ! Qui pour la plaindre ? Qui même pour la comprendre ?

Soudain et comme prise d'un besoin subite et inéluctable, elle se met à frapper violemment la porte qui se dresse devant elle. Elle tremble de tous ses membres, comme prête à s'écrouler. Cela, personne ne le saura jamais, un secret que la reine emporterait avec elle.

Vangelis ouvre la porte, mécaniquement, le regard encore embrumé par le sommeil. La surprise est lisible sur ses traits fatigués alors qu'il s'exclame, à mi-voix :

-Reine Adeyrid ?

-Je suis désolée, Vangelis. Souffle la reine.

Elle se laisse tomber dans ses bras, sans donner plus d'explications à son homologue. Ce dernier s'en accommode, refermant son étreinte sur la femme. Cette proximité en choquerait plus d'un mais cette même pensée n'effleure pas les deux individus. La nuit demeure bien protectrice et les secrets mourraient avec elle, lorsque le jour se lèvera.

Adeyrid laisse libre cours à ses larmes, à ces sanglots qu'elle avait trop longtemps gardés pour elle. Son ventre se presse contre l'homme qui lui fait fasse et elle se sent soudainement mieux. Moins seule au contact du médecin. Elle ne l'a jamais oublié et cette histoire reste prisonnière des murs du château.

Vangelis la serre contre lui, respirant cette odeur douce qu'il connait si bien. Un mélange délicat d'agrume et de fleur de printemps, des effluves particuliers. Il s'en nourrie sans qu'elle ne s'en doute, faisant mourir les angoisses de la reine par ce simple contact. Défaisant son étreinte, il dépose un baiser sur les lèvres de la femme, comme une promesse muette. Il murmure, au creux de son oreille :

-Ne restez pas là, venez !

Et il l'attire à l'intérieur sans qu'elle n'accuse la moindre résistance. Il referme la porte derrière eux, faisant mourir toutes les peurs de la reine par ce simple geste. 

Derrière les Héros [Les Légendaires]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant