Et bien plus encore

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La princesse Jadina d'Orchidia aperçut, aux confins des collines du Royaume de Larbos, l'ombre curieuse d'une bâtisse. La maison se précisa, curieusement intacte après que le monde ait survécu à l'ère d'Anathos.

Comme un souvenir, le lieu avait résisté à l'épreuve du temps, à l'épreuve de la violence. Elle tenait toujours debout, probablement inhabitée depuis des lustres. Jadina avança avec prudence, comme elle aurait approché un ennemi de la trempe d'un dieu. Ce vieux taudis ne payait pourtant pas de mine. D'apparence, usée par les années, il n'avait rien d'un opposant bien effrayant. Jadina en avait vu d'autre et des pires.

Malgré cela, et à mesure que ses pas la menaient aux portes de la maison inhabitée, une angoisse se logea au creux de son ventre. Une peur croissante qui l'enivra sans la ralentir et elle atteignit le seuil de la porte avant de s'autoriser à contempler cette vue pittoresque. Le bois avait vieilli, les vitres étaient rayées et il émanait de la structure une sensation de force brute.

Et paradoxalement, de vulnérabilité.

Cette maison abandonnée était à l'image d'un souvenir : furtif et saisissant, éphémère et douloureux.

Jadina passa la main sur le bois usé pour en ressentir la texture rugueuse. Sous ses doigts, l'irrégularité de la matière écorchait son épiderme. Une perle de sang apparut, ronde, gourmande, à mesure de la trahir.

Une goutte de sang vert.

La porte s'ouvrit et le fracas brutal rompit le charme. Sur le seuil se présenta la personne qu'elle n'aurait jamais imaginé en un tel lieu si le concerné ne l'y avait pas lui-même invité.

Le commandant Ikaël la toisa de son regard le plus austère. Le regard d'un militaire intransigeant qui aurait pétrifié la Jadina d'avant.

La Jadina qu'Anathos avait réduit en miettes quelques deux années plus tôt, avant que les Légendaires ne prennent leur revanche contre le dieu du Mal. Cette Jadina-là se serait figée, sans nul doute, et aurait essuyé cette œillade pénible et formelle non sans mal. Elle ne pouvait que comprendre l'inconfort de Danaël. Ce regard dur, Ikaël le réservait également à son frère cadet.

Il l'avait réservé, tout du moins, et en particulier à lui.

— Princesse Jadina.

— Commandant Ikaël.

L'ébauche d'un silence s'installa. Le corps robuste, même réduit à un âge juvénile à l'instar des deux mondes, de l'homme bloquait l'accès à l'intérieur. L'avait-il invitée pour ne pas lui permettre de découvrir les trésors que renfermaient cette maison ?

— Je n'étais pas sûr que vous viendriez, souligna Ikaël, avec raideur.

— Pourquoi cela ?

— Ce lieu va vous être douloureux, vous êtes trop intelligente pour l'ignorer.

— Il l'est au moins autant pour vous. Je ne tiens pas à être traitée comme une demoiselle en détresse, commandant.

L'intéressé serra les dents. L'hostilité s'était invitée dans leurs paroles, dans la manière dont leurs regards se défiaient. De quelles fautes était-elle issue ?

— Le monde n'a pas oublié ce qu'il vous doit, Légendaire Jadina, admit Ikaël, ponctuant ses dires d'un hochement de tête. J'ai laissé les lieux tels qu'ils étaient. Entrez !

En état, la maison ressemblait à un musée. Interdiction de toucher les objets, le droit leur était à peine donné de fouler le sol tant celui-ci pouvait se révéler sacré. Jadina s'immisça dans l'endroit qui avait vu grandir Danaël. La maison de son enfance, restée intacte depuis son départ. La vieille nourrice s'en était allée, les mômes avaient grandi et le lieu était resté le même, en dépit de l'absence de ses propriétaires.

Derrière les Héros [Les Légendaires]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant