Lydia avait la tête qui tournait atrocement. Le sol dur écorchait sa peau diaphane protégée par un simple pagne très léger.
Que lui avaient-ils donc fait boire ? Elle tenta de se lever mais retomba lourdement presque aussitôt. Ses muscles ne répondaient pas, elle avait l'impression qu'un sombre individu s'était amusé à les passer sous un rouleau compresseur. Ses yeux d'un vert intense, bien qu'accoutumés à la pénombre ambiante, voyaient flous. Elle ne savait absolument pas où elle se trouvait en ce moment même, ni comment elle avait atterri ici. Sa tête était affreusement vide... Malgré cette situation angoissante, elle n'éprouvait ni crainte, ni désir de s'en aller. Elle était plongée dans une torpeur proche du rêve.
Alors qu'elle récupérait petit à petit ses facultés visuelles, des barreaux en métal, semblant luire d'une froide irréalité dans la semi-obscurité de la pièce, se matérialisaient autour d'elle, lui faisant comprendre qu'elle était retenue prisonnière. Elle était apparemment seule. Seule, dans une cage.
Tandis que le brouillard dans son esprit se dissipait, une voix lointaine lui apparaissait à présent plus claire, plus nette, plus proche que jamais. Dans un effort surhumain, la jeune femme rampa faiblement sur le sol lisse jusqu'à poser son front contre les froids barreaux pour se réveiller davantage en tendant une oreille engourdie pour mieux entendre cette voix.
— ... pour la cent dix huitième vente aux enchères d'esclaves bipèdes !
Des sifflements de joie se faisaient entendre, provocant un infâme boucan pour l'ouïe sensible de Lydia qui ne fut pas davantage épargnée par les applaudissements frénétiques qui résonnaient à présent. La prisonnière continuait d'écouter sans comprendre et encore moins éprouver la plus infime des émotions. Un trou noir, situé quelque part sous son crâne, se chargeait d'aspirer impitoyablement toutes les pensées cohérentes qui tentaient tant bien que mal de se former.
— Ce soir, reprit le présentateur, nous allons vous présenter de la marchandise à COUPER le souffle ! Et voici la première ! J'ai nommé Tanyaaaaaaa la fleur sauvage !
Les cris d'une femme résonnèrent soudain dans les oreilles de Lydia qui continuait bêtement de fixer le sol d'un air absent. Elle jouait avec une mèche de cheveux roux, en remarquant pour la première fois les chaînes qui l'attachaient bras et jambes.
Elle entendait des murmures admiratifs fuser. Certains commentaient les attributs physiques de Tanya, d'autres scandaient de la faire approcher pour l'examiner de plus près...
— Les enchères commencent à vingt mille billets ! hurla la voix du présentateur. Qui dit mieux ?
Les oreilles fines de Lydia percevaient une succession de nombres, tous plus grands les uns que les autres. Il lui semblait que sa cage s'emplissait de brume, elle recommençait à somnoler, tirant sur ses chaînes pour faire passer le temps.
— Cent cinquante deux mille billets ! cria le présentateur. Une fois ! Deux fois ! Troiiiiiis fois ! Adjugée vendue ! Vous êtes chanceux monsieur ! Attention... Voilà... il faut bien la tenir... oui comme ça.
D'autres noms se succédèrent, ceux de femmes et d'hommes. Lydia jurerait même avoir entendu des enfants crier après l'appel d'un nom, le leur sûrement. Elle essayait de se lever pour la énième fois, toujours en vain. Tous ses membres étaient faibles, elle n'arrivait à rien.
Un bruit de porte grinçante se faisait entendre. Quelqu'un entrait dans la pièce où elle était. Un homme. Du moins, d'après la silhouette floue que voyait Lydia. Un trousseau de clefs s'agitait, une serrure s'ouvrit. Une main la tirait par ses chaînes pour la mettre debout sur ses jambes de coton, et une autre, l'empêchait de s'écrouler. Le nouvel arrivant jetait sans cesse des regards avides sur elle.
— Toi alors... une vraie beauté, siffla-t-il. Ils vont être gâtés les clients de ce soir...
Il s'immobilisa soudainement, semblant attendre un signal.
— Et maintenant messieurs dames, reprit la voix du présentateur, le clou de cette vente ! Je vous présente la tigresse amnésique !
L'homme qui la tenait poussa brusquement Lydia derrière une porte où elle tomba aussitôt, entraînant ses chaînes avec elle. Elle se trouvait sur une scène, où un homme tenant un micro se dressait fièrement face à une foule en délire. Lorsque Lydia s'écroula, des exclamations retentirent dans la salle. Le public tapait fort dans ses mains et commentait son apparence. Les projecteurs braqués sur elle, toute cette lumière étourdissante, ces bourdonnements incessants, cet océan de couleurs... La tête de la prisonnière allait exploser.
— Eh bien qu'avons nous là ? dit le présentateur en s'avançant vers elle.
Il tira sur les chaînes qui retenaient ses poignets et Lydia redressa aussitôt le buste, les bras suspendus en l'air, toujours incapable de comprendre la situation. Elle entendait cependant des sifflements de mécontentement dans l'assemblée. Un homme criait :
— Elle est maigre !
Aussitôt, toute la salle se mit à huer. Le présentateur, embêté, tira sur les cheveux de Lydia, l'obligeant à montrer son visage à ces gens.
— Mais elle a un très joli visage vous ne pouvez le nier, dit-il en souriant.
L'homme avec le micro était-il un requin, où était-ce une hallucination ? Il devait avoir cinq rangées de dents, des grandes nageoires et puer le sang. Lydia était-elle un poisson ? L'avait-on enfermée dans un aquarium géant ?
Personne ne niait les arguments du présentateur-requin car la foule recommençait à s'agiter joyeusement. Lydia avait mal aux poignets, elle tira faiblement de son côté, ce qui n'échappa pas à l'œil aiguisé du prédateur.
— Oh, on dirait qu'elle commence à se réveiller. Eh bien Lydia, dis-nous donc quelques mots.
Le sens de sa phrase arrivait lentement jusqu'à son cerveau fatigué. Elle tentait de marmonner quelque chose.
— Fi...ch...ez...
Les mots s'étranglèrent dans sa gorge et elle retomba sur le sol de la scène sous les rires du public.
— Ce n'est pas très poli Lydia, reprit le présentateur. Continuons l'examen !
L'excitation de l'assemblée était palpable. Le présentateur plaçait, sans ménagement, la jeune femme face au public.
Mais il s'arrêta net.
À ce moment précis, un autre homme fit irruption sur la scène. Les caquètements du public s'interrompirent aussi sèchement qu'un robinet fermé brusquement. L'esprit embrumé de Lydia se disait qu'il devait être soit très populaire... soit très craint.
— Monsieur C !? s'exclama le présentateur d'une voix extrêmement surprise qui se brisait légèrement. Que nous vaut ce...
— Combien ?
Le présentateur se figea. Il regarda Lydia, puis l'inconnu.
— J'ai de la marchandise de bien meilleure qua...
— Es-tu devenu sourd, Greg ?
Le présentateur recula d'un pas, apparemment terrorisé. Il se perdit dans ses papiers. Tous les spectateurs retenaient leur souffle. On n'entendait plus un bruit.
— Je...oui...bien sûr, balbutia Greg, enfin non...les enchères débutent à...
— Peu importe, coupa l'inconnu.
Il jeta une malle aux pieds du présentateur qui recula davantage, comme s'il craignait qu'une bombe y soit dissimulée. Lydia tourna faiblement la tête et vit qu'une montagne de billets jonchait à présent le sol.
— Dix millions cash, annonça l'inconnu d'une voix féroce.
Il s'avança vers la jeune femme, la souleva d'une seule main et la jeta sur son épaule dans un entrechoc de métal.
Épuisée, Lydia sombra dans un profond sommeil...
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LUTÈCE
Science FictionA son réveil, tout est flou, tout est vide. Le monde tremble. Quel est son nom déjà... Ly...Lydia. Quelle est cette scène où elle se trouve ? Où l'on crie son nom, où la lumière est aveuglante, où l'on scande des prix. C'est une vente aux enchères...