Hug était en plein travail. Prenant Lydia en photo sans son turban, il lui préleva également ses empreintes digitales avant de s'affairer sur l'une de ses machine de guerre électronique. Il informa les deux jeunes femmes qu'il lui faudrait plusieurs heures avant de terminer une carte propre comportant tous les patterns de sécurité, dont certains étaient invisibles à l'œil nu.
Pendant ce temps, Zay et Lydia étaient installées par terre et s'occupaient avec un paquet de cartes rétro dégageant l'odeur typique, boisée et renfermée, des vieux bibelots restant sous un drap, au coin d'une cave, des décennies durant. Zay apprenait à Lydia les règles du "jeu de trois", avec trois cartes chacune, il fallait déposer une carte en face cachée devant soi, annoncer sa valeur réelle ou bluffer, puis annoncer si l'adversaire bluffait ou non. Si aucune n'affirmait que l'autre bluffait, celle qui avait annoncé la plus haute valeur de carte remportait les deux cartes engagées. Un bluff découvert faisait perdre la carte engagée plus une seconde carte parmi celles restées en main. Se tromper sur un bluff coûtait deux cartes également à celle s'étant trompée. La première se retrouvant sans carte avait perdu. Une partie était très rapide mais pouvait se jouer avec d'autres contraintes et davantage de cartes en main. Lydia remporta aisément les quelques cinquantaine de parties effectuées, sous le regards ébahis et incrédules de Zay. La jeune rousse savait toujours quand son adversaire bluffait ou disait la vérité, c'était écrit sur son visage avec la même clarté que l'eau de roche.
Mauvaise perdante, Zay abandonna, prétextant vouloir faire une pause.
Les mains posées à plat sur le plancher moisi et avec un regard vide, Lydia profitait de ce moment de tranquillité pour se perdre dans ses pensées qui divaguaient vers le jour de son réveil dans la chambre du manoir. Elle pensait à ce Mr. C, à son souffle chaud et à ses yeux noirs, durs et incandescents. Elle avait beau y réfléchir sans arrêt depuis son réveil, elle ne se souvenait pas de lui. C'était un parfait inconnu. Un parfait inconnu à qui elle appartenait. Elle était sa propriété. Sa propriété de dix millions.
Il lui avait donné trois mois pour le rembourser ou pour se souvenir de son nom afin d'être libre. Cela n'avait aucun sens. Il savait très certainement qu'elle reviendrait vers lui. Il devait même en être convaincu. Les chaînes de Lydia n'étaient plus là physiquement mais existaient toujours bel et bien. Elles la rattachaient à cet homme. Elle savait qu'elle retournerait vers lui. Il semblait détenir les réponses à beaucoup de ses questions.
— Vous connaissez un dénommé... C ? demanda Lydia.
Zay s'étrangla et se mit à tousser. Hug cessa brusquement de pianoter sur son clavier pour se tourner vers Lydia, la regardant comme si elle avait annoncé avoir une quelconque maladie dangereusement contagieuse et mortelle.
— Comment... comment connais-tu ce nom si tu es soi-disant amnésique !? hurla Hug. Tu vois Zay je te l'avais dit ! Tu m'apportes toujours des emmerdes !
Zay toussait toujours. Elle était rouge. Buvant une gorgée de sa gourde pour faire passer sa toux et récupérer l'usage de la parole, elle prit un air grave.
— Lydia, comment connais-tu ça ?
Très surprise par leur réaction, un instinct poussa Lydia à leur mentir.
— Je... je l'ai entendu. C'étaient les gardes d'hier qui en parlaient quand je me suis approchée d'eux.
— Et ils ont dit quoi ? articula Hug avec un regard très inquisiteur.
— Pas grand chose... Juste que... Enfin... Il a l'air d'être quelqu'un d'important.
— Évidemment qu'il l'est ! explosa Hug. Important, machiavélique, macabre ! On le surnomme l'ange de la mort ce type !
— Lydia écoute-moi, poursuivit Zay, tu ne dois pas prononcer ce nom à Gregville, tu entends ?
Lydia tremblait légèrement sous leurs propos, essuyant la goutte de sueur perlant sur son front. Une énorme boule pesait dans son ventre, lui donnant l'impression d'avoir avalé un sac de plomb.
— Mais pourquoi ? Qui est-il ?
— C'est de grosses emmerdes voilà qui il est ! rugit Hug.
— Lydia, il s'agit d'un homme dangereux, expliqua Zay avec plus de modération. Nul ne sait qui il est exactement. Mais ce n'est pas un Citoyen comme les autres... D'après les rumeurs, il possèderait une carte Opale, c'est le même niveau de carte que la famille Impériale de Germania en personne !
— Les cartes Citoyen ont des niveaux ?
— Bien sûr ! Il y a la carte Citoyen Ivoire, aux écritures blanches. Ensuite, en montant en richesse et en puissance, il y a la carte Citoyen Améthyste (violette), Saphir (bleue), Émeraude (verte), Diamant et la plus haute... Opale ! La carte Opale est reversée exclusivement à la famille Impériale et aux plus hauts dignitaires. Elle est impossible à obtenir. Enfin, en réalité, personne ne connaît les règles exactes de cette carte, sauf ceux qui la possèdent.
— Dans ce cas, comment cet homme a-t-il pu l'obtenir ? demanda Lydia.
Zay haussait nonchalamment les épaules.
— Ça, personne n'en sait rien. Mais il ne fait pas partie de la famille Impériale. Et il ne joue aucun rôle dans le gouvernement. Du moins, d'après ce qu'on raconte.
— Alors que fait-il à Germania ?
— On ne sait pas non plus. Des fois il se montre, des fois on ne le voit plus pendant des mois. Quand il se montre, il y a généralement des morts ou des disparitions sur son passage. Il lui arrive d'aller au casino, dans des clubs. Il achète souvent des immeubles, des commerces. Paraît-il, il sillonne les villes de Germania et investit beaucoup de fric dans différentes entreprises. Il a une fortune infinie. On raconte qu'il possède une centaine de manoirs un peu partout dans l'Empire.
Lydia bouillonnait de l'intérieur. Ce n'était pas n'importe quel homme riche qui l'avait achetée. Cependant, il ne lui avait fait aucun mal, à elle. Pourquoi donc, puisqu'il était apparemment le diable en personne ?
— Il ne va pas en prison avec tous ses crimes ?
Zay et Hug se regardèrent un instant avant d'éclater de rire. Les planches en bois constituant la bicoque tremblaient dangereusement sous cette vague sonore.
— Non Lydia. À partir de la carte Émeraude, on entre dans un registre spécifique et on a l'immunité totale. La justice ne s'applique qu'aux pauvres, ou du moins, elle ne s'applique pas aux gens aisés et puissants.
— Tu veux dire que ces gens peuvent faire ce qu'ils veulent !?
— Exactement.
— Est-ce que ce... Mr. C est déjà venu à Gregville ? demanda Lydia d'une petite voix.
Cette fois-ci, ce fut Hug qui répondit de sa voix désagréable. Sa chaise à roulette grinçait tandis qu'il pivotait complètement vers Lydia.
— Bien sûr ! Il paraît même qu'il était là ces derniers jours !
— Et... que faisait-il ?
Lydia sentait son cœur s'accélérer, elle espérait de toutes ses forces qu'ils n'étaient pas au courant de la vente aux enchères.
— J'sais pas, répondit Hug. Il n'y a que des rumeurs.
— C'est quoi ces rumeurs ?
— Il paraît qu'il s'est pointé à la vente aux enchères de Greg Martin, le maire de Gregville.
Lydia sentit son cœur s'arrêter.
— Et... et... qu'y a-t-il fait ?
— Personne ne le sait. Tous les enregistrements ont disparu et cette émission n'a pas pu être diffusée. D'après ce qui se dit, tous les clients de ce soir-là ont subi un lavage de cerveau avec de puissants sédatifs pour oublier ce qui s'est passé. Personne ne s'en souvient. Il paraît que Greg est dans une sacrée merde ! Mais bon, ce ne sont que des rumeurs. Greg Martin possède tout de même une carte Émeraude ! Même C ne peut pas l'atteindre aussi facilement.

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LUTÈCE
Science FictionA son réveil, tout est flou, tout est vide. Le monde tremble. Quel est son nom déjà... Ly...Lydia. Quelle est cette scène où elle se trouve ? Où l'on crie son nom, où la lumière est aveuglante, où l'on scande des prix. C'est une vente aux enchères...