Lydia avait la tête qui tournait. Ces paroles avaient un sens. Probablement. Un sens lointain qui se perdait dans le tourbillon des souvenirs flous de la jeune femme. Ses ongles râclaient le cuir du canapé alors qu'elle sentait la frustration monter en elle.
— Imagine que je te révèle tout de suite tout ce que je sais, poursuivit Mr. C en l'incendiant de ses yeux noirs. Tu serais en possession d'informations qui ne te parleront absolument pas puisque tu ne te souviens de rien. Dans ton état, ça pourrait même être tout bonnement dramatique. Il n'y a pas d'autre solution. Tu dois tout te remémorer de toi-même. Tu dois revivre ce que tu as vécu. Tu dois te posséder de nouveau. Prendre pleinement le contrôle de toi-même. Et décider de l'avenir.
— Pourquoi ne pas simplement s'être débarrassé de moi si je peux causer autant d'ennuis ? demanda Lydia en le fixant droit dans les yeux.
Son interlocuteur baissa un instant la tête, se passa une main dans sa chevelure brune avant de relever le front. Ses yeux pétillants se posèrent sur la jeune femme. Il semblait en proie à un dilemme intérieur. Une aura ténébreuse se dégageait de lui, se rependant dans le salon luxueux comme un quelconque gaz toxique que Lydia pouvait presque percevoir. Il parla avec une voix lente, comme s'il contenait ses propos.
— Cela m'était impossible, Lydia.
Il n'en dit pas plus. Son visage se ferma totalement. Le cœur de Lydia semblait vouloir lui crier quelque chose, mais le néant de ses pensées le masquait. Voyant que cette conversation menait à une impasse, elle décida d'aborder un nouveau sujet.
— On me poursuivait, déclara-t-elle. Avant que je ne tombe de la falaise. Et si l'on me poursuivait encore ?
— Tu es en sécurité à Germania, répondit-il. Tout le monde te croit morte. Ne t'occupe pas de ça. Je surveille la situation de près. Occupe-toi simplement de récupérer tes souvenirs. C'est la seule chose qui compte. Et en attendant, continue de porter la fausse identité que ce Hug t'a donnée.
— Comment sais-tu...
— Rien ne m'échappe, Lydia, la coupa-t-il.
Le silence retombait entre eux, un silence lourd de non-dits, de propos muets, d'émotions étranglées. La pâle lueur rosâtre de l'aurore commençait à s'infiltrer par les grandes baies vitrées, se reflétant sur le mobilier, qui, par un jeu de contraste et de lumière, prenait un aspect vivant, animé. Les ombres de la pièce dansaient. Les oiseaux avaient disparu. Ils s'étaient envolés au loin, comme les souvenirs de Lydia.
— Je ne pourrais jamais te rembourser en trois mois, affirma-t-elle.
— Me dire ton nom me suffira, répondit Mr. C en croisant les bras sur son torse.
— Tu me tueras n'est-ce pas ? souffla Lydia. Si je ne m'en souviens pas dans trois mois... Je le sais.
Il ne répondit rien. Si les regards pouvaient brûler, Lydia ne serait en ce moment plus qu'un tas de cendres rougeoyantes.
Après un nouvel antibiotique, la jeune femme s'endormit sans trop de difficulté. Son sommeil fut paisible et sans rêve, malgré l'intensité des révélations qui lui avaient été faites. Elle se réveilla à une heure avancée de l'après-midi, seule. Mr. C était parti.
La lumière du soleil inondait à présent l'immense salon du manoir. Elle découvrit différents éléments posés sur la table basse en verre devant elle. Un sac à dos noir, des compresses, un rouleau de bandages, une crème pour soigner les lésions, un paquet d'antibiotiques, un trousseau de clefs, un bol de soupe encore fumant et une liasse d'environ cent billets. Un mot rédigé d'une écriture soignée les accompagnait. Lydia le prit délicatement entre ses doigts pour le lire.
"Change tes bandages. Prends encore des antibiotiques aujourd'hui, il ne faut pas que l'infection reprenne. Je t'ai laissé les clefs du manoir ainsi que d'un nouveau véhicule qui t'attend dehors. Ne marche plus jamais aussi longtemps. Mange, reprends des forces. Et fais attention à toi.
C. "
Lydia lissait le morceau de papier entre ses doigts. Elle savait qu'il ne serait pas loin. Qu'elle n'avait pas besoin de le chercher.
Elle suivit les consignes, commençant par boire goulûment la soupe qui était aussi délicieuse que celle de la veille. Elle avala un antibiotique puis s'affaira à changer ses bandages. Ses pieds avaient légèrement dégonflé mais restaient très sensibles et blessés. La crème qu'elle appliquait dessus lui faisait du bien. Elle resserra de nouveaux bandages propres sur sa chair meurtrie.
Elle passa tout le reste de l'après-midi à se reposer, tantôt allongée sur le canapé à rêvasser, tantôt assise à observer la magnifique forêt à travers les grandes fenêtres.
À la nuit tombée, elle décida de contacter Hug. Elle ne savait pas comment retrouver la mémoire et n'allait pas rester sans rien faire en attendant qu'elle revienne comme par magie. Elle voulait poursuivre ce qu'elle avait entrepris en tant que Lydia Klein. Et si ses souvenirs surgissaient d'ici là, tant mieux, sinon... elle n'avait plus que trois mois à vivre. Autant les rendre intenses et utiles.
Elle approcha son bracelet de ses lèvres, s'exclamant : "appeler Beau Gosse Ténébreux". Au bout d'un très court temps d'attente, Hug répondit à l'appel. Sa voix s'échappait du bracelet.
— Lydia ! cria-t-il. J'attendais de tes nouvelles espèce de fripouille ! J'ai bien cru que tu m'avais oublié.
— Rassure-toi Hug, je ne t'ai pas oublié. J'ai fait ce que tu m'avais demandé.
— Ce... c'est vrai ? dit-il d'une voix qu'il tâchait de rendre neutre. Parce que si tu mens je...
— Je sais que c'est ta fille.
— Ah.
Il se tut un moment.
— Comment... comment va-t-elle ? demanda-t-il d'une petite voix.
— Elle est en bonne santé en tout cas. Mais il est plus que temps de la sortir de là.
— Oui...
— Je veux t'aider Hug. C'est dégueulasse ce qui se passe là-bas.
— Mais tu me connais à peine ! s'exclama-t-il. Pourquoi tu voudrais m'aider !?
— Parce que t'es quelqu'un de bien et que toi, tu m'as aidée. Ta fille m'a dit que dans ta lettre, tu as écrit avoir un plan ?
— Oui, mais je ne vais pas en parler au téléphone. Rejoins-moi demain à la planque.
— D'accord, je viendrai !
Elle s'apprêtait à couper la communication lorsque...
— Lydia ?
— Oui ?
— Merci.
Elle sourit sans rien répondre, raccrochant d'une pression sur l'écran tactile du bracelet.

VOUS LISEZ
LUTÈCE
Science FictionA son réveil, tout est flou, tout est vide. Le monde tremble. Quel est son nom déjà... Ly...Lydia. Quelle est cette scène où elle se trouve ? Où l'on crie son nom, où la lumière est aveuglante, où l'on scande des prix. C'est une vente aux enchères...