Lydia, parfaitement maîtresse de ses émotions, conservait un visage et une attitude neutre à cette annonce. Elle savait qu'en ce moment même, elle venait de se faire un ennemi. Un ennemi mortel. Qui chercherait à se venger, cela ne faisait aucun doute.
— Bien.
— Mais seulement les dix millions de Mr. C. Et bien entendu, vous lui transmettrez mes plus plates excuses. Je ne peux pas vous donner douze millions. Deux millions supplémentaires, c'est une somme considérable. Je ne roule pas sur l'or et j'ai une ville à faire tourner. C'est impossible.
— Je vous fais cadeau d'un million. Onze millions me suffiront si vous acceptez ma deuxième requête.
Lydia sentait qu'il se contenait. Ses yeux lançaient des éclairs et ses phalanges étaient blanches à force d'être serrées. La jeune femme devrait dorénavant surveiller ses arrières. Constamment. Il n'attaquerait pas de front car sa peur de Mr. C était bien trop grande. Il avait plutôt le profil d'un homme aimant les attaques vicieuses, dissimulées, sans jamais se salir les mains. Après tout, ce n'était pas n'importe quel malfrat qui pouvait accéder au statut de maire dans l'Empire de Germania. Un maire n'hésitant pas à réduire en esclavage des enfants pour se faire du profit. Cet homme était pourri jusqu'à la moelle, ce qui le rendait réellement dangereux.
— Et quelle est cette deuxième requête ? demanda-t-il d'un ton fortement maîtrisé.
À peine avait-il formulé cette question que l'on frappa à la porte de la loge.
— Excusez-moi, dit-il en se levant pour aller ouvrir.
Un des employés du club se tenait dans l'embrasure, empoignant fermement un jeune garçon possédant un collier électronique autour du cou. Il ne devait pas avoir plus de douze ans et semblait terrifié.
— Votre casse-croûte de seize heures patron, rigola l'employé en secouant l'enfant.
— Pas maintenant ! J'avais ordonné que l'on ne me dérange sous aucun prétexte ! rugit Greg.
Il leur claqua la porte au nez. Lydia le regardait avec un dégoût indescriptible. Greg croisa son regard, faisant comme si de rien n'était.
— Alors cette requête, Lydia ?
**
Quelques heures plus tard, l'équipe médicale de Greg avait terminé de prodiguer les soins de Fabela dans le petit hôpital privé voisin du club. Les médecins l'avait transfusée avec du sang neuf pour compenser l'hémorragie et s'étaient occupés avec brio de sa blessure. Heureusement, la balle n'était passée que superficiellement dans sa jambe et avec leur technique médicale de pointe au laser, ils avaient facilement pu s'occuper de la plaie. Elle était à présent cautérisée, cousue et bandée. Fabela avait même reçu un traitement antibiotique et antalgique ainsi que de belles béquilles flambant neuves car elle ne pourrait tout de même pas marcher normalement avant un petit moment.
Hug, Zay et Lydia étaient à son chevet et l'aidaient à se lever de son lit d'hôpital, maintenant qu'elle était autorisée à partir. Lydia les avait directement rejoints après son entrevue avec Greg, qui s'était un peu éternisée car sa deuxième requête demandait du temps.
Hug et Zay lui avaient appris qu'après son départ de la cave, les gardes les avaient détachés et l'équipe médicale était venue jusqu'à eux plutôt rapidement. Ils s'étaient ensuite rendus jusqu'à cet hôpital dans leur ambulance et Fabela avait vite été prise en charge.
Depuis le réveil de l'adolescente, Hug et elle ne se quittaient plus. Ils pleuraient, se prenaient dans les bras et se juraient de ne plus jamais se séparer. Toutefois, malgré cet intense bonheur, ils étaient sacrément mal en point, physiquement certes, mais surtout psychologiquement. Ce qui s'était passé dans le club les avaient marqués au plus haut point. Le regard de Zay était vide et Fabela, bien qu'heureuse de retrouver son père, semblait détruite et ne cessait de trembler. Hug tremblait aussi et derrière son visage tuméfié, trônaient des yeux éteints, traumatisés. Quant à Lydia, certes, elle avait été un peu secouée, cependant, elle allait... bien. Elle n'était pas dans le même état traumatique que ses camarades.
Si elle était tout à fait honnête avec elle-même, elle avait... apprécié cette journée. L'adrénaline, l'action, le danger... tout cela ne lui faisait pas peur. Bien au contraire. D'autant plus que c'était pour une cause qu'elle jugeait juste et que l'aventure s'était bien terminée de surcroît. Plus que bien même, d'après le très satisfaisant poids de l'énorme sac qu'elle portait à bout de bras et dont ses camarades ignoraient pour l'instant tout du contenu. L'incroyable somme qu'il renfermait ne faisait même pas tourner la tête de Lydia. Elle était simplement heureuse d'y voir le prix de sa liberté. Plus, en bonus, un petit million qui lui revenait à elle, soit de quoi être largement tranquille et indépendante. Dès qu'elle aurait remboursé Mr. C, elle ne serait plus une esclave et n'aurait plus aucune dette. Elle serait libre. Elle comptait mettre à profit cette liberté pour retrouver Caelan, car il était le seul indice dont elle disposait -enfin, avec Smaïr, mais ce dernier ne figurait pas sur la liste des personnes qu'elle avait envie de croiser- pour se souvenir de son passé. En effet, elle devait encore se rappeler de son nom, pour Mr. C. Leur accord était implicite mais elle savait qu'elle se retrouverait avec une balle entre les yeux si elle ne s'en souvenait pas au bout des trois mois impartis. Et le premier mois était déjà quasiment terminé.
Une fois debout, Fabela pouvait marcher toute seule à travers les couloirs de l'hôpital à l'aide des béquilles. Hug se tenait proche d'elle, prêt à intervenir si la plus infime des difficultés pointait son nez. Zay et Lydia avançaient derrière eux. Les yeux sombres et éteints de Zay ne cessaient de se poser par intermittence sur Lydia, à la fois curieux et légèrement inquiets. La curiosité l'emportait visiblement, puisqu'elle se décidait à poser la question que Lydia savait pertinemment qu'elle et Hug devait vivement avoir en tête depuis que Greg les avait rejoints dans la cave. Mais jusqu'ici, la priorité avait été de tirer Fabela d'affaire.
— Lydia... comment... enfin... pourquoi est-ce que le mec le plus puissant de Gregville te mangeait dans la main ? Pourquoi nous a-t-il laissé partir comme ça, limite en déroulant le tapis rouge !?
Hug, qui marchait en tête, tendait l'oreille sans rien dire.
— Je vais tout vous expliquer quand nous serons en lieux sûrs, promit Lydia.
Zay restait silencieuse, inspectant la jeune rousse à distance.
Une fois arrivés dans le hall principal de l'hôpital et alors qu'ils s'apprêtaient à quitter les lieux d'une déprimante blancheur, Lydia décida qu'il était temps de les prévenir.
— Au fait... j'ai demandé à Greg quelque chose... C'était peut-être un tantinet audacieux mais je pense que c'était la bonne chose à faire.
— Qu'est-ce que c'est ? la questionna Zay avec des yeux ronds de surprise.
Ils poussèrent la porte de sortie de l'hôpital et eurent immédiatement la réponse à cette question.
Douze enfants, adolescents et jeunes adultes les attendaient sur le trottoir. Ils avaient entre onze et dix-neuf ans, étaient maigres et semblaient avoir porté toute la misère du monde sur leurs épaules.
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LUTÈCE
Science FictionA son réveil, tout est flou, tout est vide. Le monde tremble. Quel est son nom déjà... Ly...Lydia. Quelle est cette scène où elle se trouve ? Où l'on crie son nom, où la lumière est aveuglante, où l'on scande des prix. C'est une vente aux enchères...