Le lance-flammes qui irradiait les méninges de Lydia s'arrêtait enfin. Ses yeux, aux paupières lourdes, demeuraient clos. La douleur s'évanouissait, son corps récupérait petit à petit ses fonctions avec une sensibilité nouvelle. Ses doigts remuaient, goûtant l'air de leur pulpe, ses ongles-griffes râclaient le métal sous son corps, ses lèvres s'ouvraient et se fermaient sans qu'aucun son n'en sorte, aspirant l'odeur des murs qui l'encadraient. Ses oreilles captaient le moindre son aux alentours. De la tuyauterie craquait, son cœur pulsait lentement, les tics et tacs de l'horloge se répercutaient en écho. Il n'y avait plus personne dans le hangar. Ses jambes tâtaient la table de torture sur laquelle elles étaient posées. Elles n'étaient plus attachées. Les afranais l'avaient libérée avant de partir.
Combien de temps s'était-il écoulé ? Elle avait l'impression d'être dans une réalité distordue, où chaque minute semblait heure et où chaque heure paraît seconde. Sa langue passait sur ses dents, dessinant le contour de canines bien plus développées qu'elles ne l'avaient jamais été. Il avait du s'écouler plusieurs jours, sa dernière prise de sérum devait complètement avoir cessé de faire effet. Était-elle un monstre à présent ?
Les tigres n'étaient pas des monstres, sa monstruosité venait de l'autre partie de son ADN. Elle aurait aimé n'être qu'animale. En réalité, elle aurait aimé être tout sauf... sa fille. Elle avait l'impression que ses gènes étaient souillés par sa présence, cette femme sanguinaire sans scrupules. Elle l'avait créée comme une chose. Sa chose. Son arme de destruction. Les griffes de Lydia tentaient de se planter dans le métal de la table. Elle lui montrerait. Elle lui montrerait qu'on ne pouvait pas jouer avec la vie, qu'on ne pouvait pas contrôler des destins et briser des rêves. On ne pouvait forger des âmes, contrôler des pensées et éteindre la flamme qui brûlait au plus profond des cœurs.
Son père tigre était sans doute le plus beau côté d'elle même, sauvage certes, elle devait simplement apprendre à l'apprivoiser, à le contrôler. Elle ne voulait plus l'inhiber avec du sérum, elle voulait l'exprimer, en faire sa plus grande force. Grâce à lui, elle avait survécu à la chute d'une falaise, il était bien connu que les chats retombent toujours sur leurs pattes. Elle se relèverait toujours, de toutes les épreuves passées et de toutes celles à venir.
L'horloge lançait des tics et des tacs provocateurs, rappelant que nul ne pouvait fuir le temps. Elle ne pouvait fuir la réalité, elle devait l'affronter. Seule... Seule ? Elle entendait des pas provenant de l'extérieur du hangar. Des cliquetis d'une serrure tournant. Le coulissement métallique d'une porte qui s'ouvrait.
Une respiration lente et calme. Une démarche assurée. Une odeur d'air nocturne, de peau sucrée et de cheveux boisés. Un bruit de déglutition, un crissement de mâchoire.
Une main, d'une extrême délicatesse, se posait sur son front brûlant. Elle frissonna à ce contact frais. Sa chair avait une odeur d'écorce, de nectar. Elle était affamée. Ses muscles se contractaient. Elle avait envie de mordre. Cependant, à présent qu'elle se souvenait de la vérité sur elle-même, elle était mieux armée pour lutter. Elle luttait de toutes les forces qui lui restaient.
— Lydia, ouvre les yeux... murmura la voix grave et apaisante de Mr. C.
Elle se concentrait sur sa propre respiration pour se caler sur la sienne, pour se maîtriser. Inspiration profonde. Expiration lente. Tic, tac, faisait l'horloge. Une nouvelle canalisation craquait. La main fraîche glissait sur sa joue, de plus en plus proche de ses canines aiguisées... Non, non, ce doux parfum sucré ne lui donnait pas envie de croquer.
— Lydia, je suis désolé de t'avoir fait subir ça, dit Mr. C d'un ton où perçait la culpabilité. Ça devenait urgent que tu retrouves tous tes souvenirs... Je n'avais plus le choix.

VOUS LISEZ
LUTÈCE
Science FictionA son réveil, tout est flou, tout est vide. Le monde tremble. Quel est son nom déjà... Ly...Lydia. Quelle est cette scène où elle se trouve ? Où l'on crie son nom, où la lumière est aveuglante, où l'on scande des prix. C'est une vente aux enchères...