Mr. C déposa Lydia sur l'un des imposants canapés en cuir du salon.
La pièce était incroyablement luxueuse, avec ses lustres en cristal, sa vertigineuse hauteur sous plafond, ses statues sculptées et son mobilier élégant. Cependant, ce luxe rendait la pièce froide. Elle était vide. Vide de chaleur humaine. Le silence en était presque oppressant.
À bout de force, le front en sueur et ses pieds la faisant atrocement souffrir, Lydia se laissa aller en arrière, posant sa tête sur le coussin moelleux du canapé.
Mr. C quitta son champs de vision. Où allait-il ?
La vue de Lydia se brouillait, elle avait chaud et froid. Puis, elle ne savait plus si elle avait froid ou chaud. Son front était brûlant. La fièvre l'abrutissait.
Le décor de salon de manoir s'évanouit dans une brume lumineuse, laissant place à une pièce allongée garnie de hublots, avec des sièges se faisant face. La pièce tanguait sensiblement. Le bruit de fond d'un puissant moteur se faisait entendre. À travers les hublots, Lydia pouvait voir des nuages. Elle était dans un petit avion. Un jet probablement.
L'homme blond avec la cicatrice était assis en face d'elle. Il la regardait en levant une flûte de champagne.
— À ta santé, cousine ! criait-il avec une lueur malveillante dans ses yeux bleus.
Lydia se sentait engourdie, ses bras et jambes étaient menottés.
— Je sais pourquoi tu fais ça... murmura-t-elle. J'ai compris...
Lydia sentait quelque chose de frais sur son front. Elle ouvrit un œil. Une grande main était en train d'éponger son visage avec une serviette imbibée d'eau froide. Cette vision s'effaça rapidement.
Elle était sur un lit de chirurgie. Elle se débattait. Une camisole de force la retenait. Une lumière l'aveuglait. Des silhouettes trop lumineuses pour être réelles s'agitaient autour d'elle.
Lydia perdait la notion du temps, elle ne savait plus où elle se trouvait, ni si les sons distants de tintement de métal, d'expiration profonde et de pas rapides étaient réels ou provenait de son imagination fébrile. Ses paupières se soulevèrent faiblement. Mr. C la regardait, cependant, elle ne voyait pas son visage. Pourquoi était-il toujours aussi flou ? Elle voulait voir ses traits, les toucher du doigts, pourquoi ne parvenait-elle pas à lever le bras ? Son corps ne répondait plus. Mr. C, imperturbable, lui tendait un verre rempli d'un liquide mousseux.
— Bois, dit-il de sa voix grave. C'est un antibiotique.
L'idée de ne pas le faire ne traversa même pas l'esprit embrumé de Lydia, qui, rassemblant toutes ses dernières forces, souleva faiblement la tête, buvant le traitement jusqu'à la dernière goutte avant de se laisser retomber sur le coussin. Les hallucinations reprenaient, s'éternisant encore et encore...
Un homme la tenait par la main. Ils couraient, couraient à en perdre haleine.
— Vite Lydia dépêche-toi, les moscowiens vont nous rattraper !
Derrière eux, des explosions fusaient. Deux camps semblaient s'affronter. Les balles sifflaient. La nuit était enflammée, sanglante. Quatre hommes ignoraient les combats et couraient derrière eux. Lydia et son partenaire sautèrent sur un quad. Ils démarrèrent dans un crissement de pneus assourdissant. Les quatre hommes ne les lâchaient pas, ils grimpèrent dans une voiture sombre et les poursuivirent.
La course poursuite était folle. Lydia s'accrochait d'une main au conducteur du quad et de l'autre, pointait son pistolet en direction de la voiture qui ne les lâchait pas d'une semelle. Elle tira sur leur pare-brise. La vitre blindée n'eut aucun impact. Deux des hommes dans la voiture sortirent leur buste par les fenêtres arrières baissées. Ils pointèrent leurs armes sur le quad.
— Attention, tourne ! cria Lydia à son pilote.
Ce-dernier obéit immédiatement et vira à quatre-vingt-dix degrés, s'engageant sur une route sinueuse qui grimpait vers de hautes collines juste au moment où leurs poursuivants ouvrirent le feu.
— Tiens bon Lydia ! cria le pilote du quad. La frontière est proche ! Ils ne nous suivront plus à Germania !
Sa voix se perdit. Un tir de leurs ennemis atteignit la roue du quad. Leur véhicule tourna sur lui-même. Lydia fut éjectée. Elle passa par dessus les barrières de sécurité qui délimitaient la route et tomba dans le vide.
Elle roula sur elle même le long la pente vertigineuse. Sa descente sembla sans fin, rapide, inévitable. Ce fut le noir.
Une odeur agréable chatouillait les narines de Lydia qui émergeait progressivement de sa torpeur. Bien que toujours très faible, elle se sentait moins fiévreuse, prenant davantage conscience de son corps. La douleur au niveau de ses pieds semblait amoindrie. En se tortillant, elle pouvait voir qu'ils étaient bandés.
— Comment tu te sens ? demanda une voix grave.
Elle tourna la tête pour le regarder.
Mr. C était assis à son chevet, un bol de soupe fumant dans les mains. Était-il resté là tout ce temps ? Pourquoi ?
— Je... bredouilla Lydia. Je vais mieux.
Tandis qu'elle se redressait en position assise sur le canapé, Mr. C lui donna d'autorité le bol de soupe.
— Bois, dit-il fermement.
Affamée et assoiffée en même temps, Lydia ne se fit pas prier. Elle vida le bol en un temps record. La chaleur du breuvage lui fit un bien fou. C'était délicieux.
— Je sais comment j'ai perdu la mémoire, dit-elle après un long silence pendant lequel elle buvait goulûment le breuvage.
Mr. C l'observait avec un air indéchiffrable, ne disant rien.
— Je suis tombée. J'ai dégringolé une falaise. J'aurais pu en mourir. C'est même un miracle que j'ai survécu. Quelqu'un m'a forcément trouvée en bas.
Mr. C ne s'autorisait aucune remarque. Son regard était sombre. Par delà les fenêtres du salon, des oiseaux au magnifique plumage multicolore voltigeaient vers la cime des arbres, battant frénétiquement leurs minces ailes pour lutter contre le vent automnal qui faisait mouvoir la forêt en une lente danse coordonnée et majestueuse. Oubliant un instant son interlocuteur, Lydia observait ce spectacle avec gourmandise, réfléchissant à un moyen de capturer ces futurs poulets rôtis, qui devaient être tellement plus savoureux que les ignobles rats du quartier de Zay.
— Il n'y a pas de traitement pour récupérer sa mémoire, dit Mr. C, rompant le silence et les projets de chasse se peaufinant dans les pensées de Lydia. Tu es la seule qui puisse t'en souvenir.
— Pourquoi ne m'aidez-vous pas ? s'exclama-t-elle. Je sais que vous savez quelque chose. Sinon tout ça n'aurait aucun sens !
— Je ne peux pas te faire confiance, répliqua implacablement Mr. C. Je dois être sûr que tu es bien la même personne, avec les mêmes objectifs. Que cette chute n'a pas altéré ta personnalité ! Sinon, qui sait les dégâts que tu pourrais causer !

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LUTÈCE
Science FictionA son réveil, tout est flou, tout est vide. Le monde tremble. Quel est son nom déjà... Ly...Lydia. Quelle est cette scène où elle se trouve ? Où l'on crie son nom, où la lumière est aveuglante, où l'on scande des prix. C'est une vente aux enchères...