6. Nouvelle identité (partie 1)

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La nuit tombait telle une silhouette ténébreuse engloutissant la vie et ses couleurs sous son passage.

Hug n'avait toujours pas fini l'impression de la carte de Lydia. Affalée sur le sol, tapant son talon contre le plancher, Zay s'impatientait grandement.

— Hug bon sang ! Qu'est-ce qui te prend autant de temps !?

Ce dernier quitta un instant ses écrans des yeux pour lui jeter un regard extrêmement mauvais.

— La ferme veux tu ! râla-t-il. Il y a un soucis avec les empreintes de Lydia ! J'essaye de les faire entrer sur le registre de l'Empire mais... impossible. Je n'y comprends rien, je l'ai pourtant déjà fait des milliers de fois. Les empreintes de Lydia semblent déjà... répertoriées à Germania.

L'intéressée, assise sagement en tailleur à côté de Zay, avait son cœur qui cognait contre ses côtes. Était-elle germanienne ? Zay se redressait, la bouche ouverte. Pendant un instant, seuls les craquements du bois tordu de la bicoque se faisaient entendre. Un hululement sinistre résonnait au loin, couvert par le bruit de ventilation des énormes ordinateurs de Hug tournant à plein régime.

— Mais c'est génial Lydia ! s'exclama Zay en se tapant dans les mains. Hug ! Tu peux retrouver son fichier n'est-ce pas ? Dis-nous vite qui elle est !

Hug pianotait sur ses bébés de métal en râlant.

— Non justement, ce n'est pas si génial que ça. Je ne peux pas la retrouver. Son fichier est inaccessible ou inexistant je n'en sais rien.

L'espoir qu'avait ressenti la jeune rousse quelques minutes plus tôt s'évaporait comme de l'eau de cuisson sous un feu vif. Zay, jetant des petits regards perplexes à Lydia, semblait également déçue.

— En attendant que j'élucide ça, reprit Hug en pianotant sur son clavier, je vais changer tes empreintes. Viens par ici Lydia.

La jeune femme le rejoignait sans broncher. Hug débarrassait un des bureaux d'un revers indélicat du poignet, repoussant gadgets, papiers, livres et autres bricoles avant de poser à plat une sorte de petite machine rectangulaire, de la taille d'un bouquin. Un écran noir en tapissait la surface.

— Pose tes deux mains à plat dessus, lui dit-il. Je vais imprimer sur ta peau de nouvelles empreintes.

Lydia s'exécutait, sentant des chatouilles sur la pulpe de ses doigts tandis qu'Hug activait la machine. Elle voyait en direct, sur l'écran de l'ordinateur, ses empreintes digitales se modifier très légèrement, comme si un artiste microscopique d'une extrême précision peignait sur sa peau de nouveaux traits qui n'existaient pas auparavant. Elle se sentait renaître à ce moment précis, devenant quelqu'un d'autre. Peu importait son passé, ce qui comptait à présent, c'était la personne qu'elle choisissait de devenir.

— C'est terminé, lui indiqua Hug. Tu peux enlever tes mains. Les fausses empreintes ne restent pas éternellement, elles durent six mois environ. Il faudra les renouveler. Entre temps, tu seras Lydia Klein, tu auras vingt-cinq ans et tu seras née à Pyrénie.

— Pyrénie ? interrogea Lydia.

— Dans les montagnes au sud-ouest de Germania, répondit Hug. C'est une ville tranquille proche de la frontière avec le royaume d'Andalousie.

Lydia hochait la tête, se répétant son nouveau nom afin qu'il reste gravé dans sa mémoire, comme l'étaient ces écritures blanches perçant le fond noir nuit de sa nouvelle carte Ivoire que Hug terminait d'imprimer. Une puce se situait sur le coin inférieur droit et sa nouvelle empreinte digitale trônait sur le coin opposé. Lydia prenait sa carte entre ses doigts avec une grande délicatesse. C'était son identité à présent. Elle était Lydia Klein. Contemplant son visage pâle sur la photo de la carte ainsi que ses cheveux roux flamboyant, elle se sentait redémarrer de zéro. Elle rangea précieusement la carte dans la poche de son pantalon.

Zay la félicitait pour cette nouvelle vie germanienne qui s'offrait à elle. Lydia la remercia, elle remercia Hug également. Ce dernier grommelait dans sa barbe.

— Mh. N'oublie pas ce que tu m'as promis en échange. Sinon t'auras à faire à moi !

Lydia approuvait d'un signe de tête. Elle n'avait pas oublié.

— Comment puis-je te joindre ? lui demanda-t-elle.

Hug fit la moue un instant, comme s'il hésitait.

— Allez fais pas ton crevard, le poussa Zay. Donne-lui un bracelet !

Hug marmonnait des propos incompréhensible qui ressemblaient à s'y méprendre aux grognements d'un ours, avant de farfouiller dans ses tiroirs. Il en sortit un bracelet muni d'un minuscule écran tactile. Approchant ses lèvres de l'écran, il dit : "configuration utilisateur", puis, "définir nom utilisateur", et enfin, "Lydia". Une voix robotique s'échappait du bracelet, neutre et désincarnée : "nom de l'utilisateur défini avec succès".

Prenant Lydia par la main, Hug lui nouait le bracelet autour du poignet. Ensuite, il colla son propre bracelet à celui de Lydia pendant quelques secondes. Un petit son aigu fut émis à l'unisson par les deux bracelets. Hug relâcha la main de Lydia.

— Voilà, dit-il. Je suis enregistré dans tes contacts. Pour m'appeler, tu n'auras qu'à approcher le bracelet de ta bouche et dire : "appeler Beau Gosse Ténébreux".

Zay sifflait d'une façon moqueuse, Hug, ripostant du tac au tac, levait royalement son majeur en lui faisant remarquer qu'elle n'avait aucun goût. Lydia esquissait un sourire, leurs chamailleries ressemblaient à celles d'un vieux couple, d'ailleurs, ils étaient beaucoup trop agacés l'un par l'autre sans que cela ne cache, comme qui dirait, une anguille sous roche.

Quelques tremblements de bicoque plus tard sous les grossièretés que s'échangeaient Zay et Hug, en un tintement de bracelets, Zay figurait également dans les contacts de Lydia.

— Pour moi, tu n'auras qu'à dire : "appeler Zay", lui indiqua-t-elle en insistant particulièrement sur son nom de contact tout simple, pour humilier davantage le geek, alias beau gosse ténébreux.

LUTÈCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant