40. La chose

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Parmi les différents niveaux de douleur, Lydia n'avait jamais pensé à l'un d'entre eux. Le son. Il la transperçait, semblable à des pointes de flèche se plantant avec une violence inouïe en plein dans ses tympans. Ses mains, lâchant toutes commandes, tentaient tant bien que mal de boucher l'orifice de ses oreilles afin de réduire cette douleur atroce.

Mr. C bougeait les lèvres. Que pouvait-il donc bien dire ? Pourquoi ne souffrait-il pas de ce vacarme ? Lydia fixait les écrans de contrôle. Des feux d'artifices éclataient dans le ciel, mélange de feu, de fumée et de pièces de métal d'un affreux jaune. Ses yeux n'avaient pas failli, elle avait visé juste. Ce spectacle, beau et terrible, semblait se dérouler d'une extrême lenteur, comme si le temps s'était déformé, les plaçant dans une réalité où tout était plus lent, plus intense.

Plusieurs des missiles avaient trouvé leur cible, cependant, quelques poussins voletaient encore d'une façon indécise autour d'eux. Leur rang ayant été perturbé par l'attaque, ils semblaient avoir des difficultés à communiquer entre eux pour reprendre leur position.

Le son s'atténuait. Lydia exaltait. Elle ne s'était pas sentie aussi vivante depuis des semaines. L'adrénaline coulait à flot dans ses veines, dilatant ses pupilles, chassant la peur, les interrogations, la changeant peu à peu en animal assoiffé du sang de ses ennemis. Elle voulait désintégrer ces poussins, ne leur laisser aucune issue, aucune chance de s'en tirer. Elle tremblait. À présent qu'il n'y avait plus de bruit, elle allait de nouveau saisir les commandes de tir lorsque Mr. C posa une main sur son épaule.

Que lui voulait-il ? Elle, elle ne voulait qu'une chose, détruire ces oiseaux jaunes. Elle voulait qu'ils éclatent, qu'ils disparaissent, qu'ils ne s'approchent plus jamais d'eux. Une frénésie meurtrière s'emparait peu à peu d'elle, mâchant son cerveau, incendiant ses méninges et coupant l'accès à toute pensée censée. Elle chassa la main de Mr. C d'un mouvement d'épaule, attrapant la manette de la mort, les babines retroussées en un sourire macabre.

Cette fois-ci, Mr. C agrippa fermement son bras et la força à la lâcher.

— Lydia, dit-il de sa voix si grave.

Son ton n'était pas élevé mais tellement ferme, tellement solide, que la jeune rousse n'essayait plus d'attraper la manette. Elle émergeait lentement de sa torpeur assassine, secouant la tête pour récupérer ses esprits. Chasser la bête.

— Lydia. Reprends le dessus, tu en es capable.

C'était difficile. Ses mains tremblaient. Elle voulait les tuer. Mr. C resserra sa prise autour de son bras, ses mots étaient justes, elle devait se reprendre. Elle ferma les yeux. Souffla. Une fois. Deux fois. Dix fois. Les battements de son cœur ralentirent. Que faisait-elle bon sang ? Elle ne voulait plus attaquer pour se défendre mais pour tuer. Les secondes s'écoulaient, de la même lenteur irréelle que ces derniers instants. Ses dernières pulsions sauvages s'éteignirent de la même manière qu'un robinet coulant à flot se fermant d'un mouvement de main sec. Les pales fouettaient l'air, la table de contrôle émettait de doux bruitages électroniques. 

Calmée, Lydia ouvrit les yeux.

— Tu te sens mieux ? demanda Mr. C en la dévisageant de son habituel air indéchiffrable.

— Je... Je crois.

— Bien. Je te disais que mes alliés nous ont rejoints. Ils vont se charger des derniers hommes de Greg.

Effectivement, des hélico-drones blancs étaient à présent visibles sur les écrans de contrôle. Ils voletaient dans les nuages en direction des canaris ennemis. N'ayant plus besoin d'esquiver des attaques, Mr. C activa le pilotage automatique.

LUTÈCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant