21. Un foyer

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Arrivée devant les imposantes portes de Gregville, Lydia y retrouvait la tribu qui l'attendait impatiemment. La nuit était à présent entièrement tombée, sombre, mystérieuse, attrayante. Les deux plus jeunes, à savoir la fillette blonde et un garçon aux cheveux cuivrés et au visage parsemé de tâches de rousseur, lui faisaient de grands signes avec un visage empli d'excitation.

— À partir d'ici il y en a pour une très longue marche, les informa Lydia depuis son quad. Vous êtes prêts à quitter définitivement cette ville pourrie jusqu'à l'os ?

— Oui ! répondirent-ils en cœur.

— P'ends Fabela su' ton quad, lui dit Hug. Elle pou'a pas ma'cher aussi longtemps.

Les béquilles rétractables entrèrent facilement dans le coffre et la jeune fille s'installa, un peu anxieuse, derrière Lydia.

— Je vais rouler lentement en tête pour vous guider et vous faire de la lumière, dit la jeune rousse en augmentant la puissance de ses phares. C'est parti !

Elle démarra et franchit les portes pour quitter la ville, suivie par la petite troupe encadrée par Hug et Zay. Cette dernière était toujours silencieuse dans son coin. Trois nouveaux gardes, trop occupés à jouer sur leur tablette holographique, ne les regardèrent même pas.


**


Il était un peu plus de minuit lorsqu'ils arrivèrent enfin au cœur de la forêt, devant l'imposant manoir. Lydia coupa le moteur et aida Fabela à descendre pour prendre ses béquilles. Elle récupéra au passage son gros sac.

Tous les membres du groupe, fatigués et engourdis, restaient bouche bée devant la majestueuse bâtisse.

— On... on peut vraiment entrer là... ? demanda la fillette blonde avec sa mâchoire inférieure tombant presque au ras du sol.

— Bien sûr, répondit Lydia en lui jetant les clefs du manoir. Allez à toi l'honneur, ouvre donc la porte.

La petite blonde exultait, ravie de cette responsabilité. Enfonça la clef dans la serrure, elle ouvrit la porte devant les yeux ébahis et curieux de toute la bande.

Ils pénétrèrent dans le salon gargantuesque, illuminé par le non moins gargantuesque lustre en cristal.

— Woaw... sifflèrent les adolescents du groupe, dont Fabela.

Les plus jeunes commençaient déjà à explorer le salon, en piaillant d'excitation comme des poussins à la vue de gros vers juteux. Hug, le dernier entré, refermait la porte derrière lui. Un balbutiement de surprise s'échappait d'entre ses lèvres gonflées.

— Za alo's ! T'en as des chozes à nous 'aconter f'ipouille !

Lydia sourit, ravie qu'il ait décidé de lui faire confiance. Elle avait plus de doutes quant à Zay, qui n'avait pas encore fait de commentaires, se contentant de scruter les lieux d'un air absent.

— Je vous raconterais tout demain. Là je suppose que vous êtes fatigués et... affamés.

Tous hochèrent la tête tandis que quelques gargouillis de ventres vides venaient confirmer ce fait.

— Allons manger, suivez-moi ! dit joyeusement Lydia, impatiente elle aussi de mordre dans un bon gigot...

Alors qu'elle les guidait vers la cuisine, Zay lui tapota l'épaule.

— Lydia ? Je n'ai pas très faim. J'ai besoin de me reposer. Où est-ce que je peux dormir ?

— Tu peux monter dans les étages par cet escalier, lui répondit Lydia en lui pointant du doigt les marches de marbre. Il y a plein de chambres, prends celle que tu veux.

D'un hochement de menton pour la remercier, Zay grimpa directement, disparaissant dans les étages. Lydia trouvait son comportement vraiment étrange et se demandait si elle en était la source. Après tout, elle leur avait promis qu'elle leur expliquerait tout demain. Et puis, Zay devait savoir que Lydia était digne de confiance après ce qu'ils avaient traversé. Du moins, la jeune rousse l'espérait.

Hug, qui n'avait pas suivi cet échange, s'attablait aux côtés de Fabela, retrouvant peu à peu une lueur vivante dans les yeux. Certes, il leur faudrait du temps à tous pour se remettre d'évènements aussi dramatiques, mais un bon repas et un toit sécurisant ne pouvaient que les y aider.

La table connectée de la cuisine était suffisamment grande pour y accueillir tous les jeunes ainsi que Hug et Lydia. Cette dernière leur expliqua le fonctionnement de la table, laissant à chacun le soin de se commander une boisson tandis qu'elle s'occupait de préparer un buffet devant le panneau de contrôle des machines.

Une dizaine de minutes plus tard, la table était garnie de gigots et rôtis en tout genre, pommes de terre en sauce, ailes de poulet frits, gratins et tartes salées.

Tous se jetaient sur la délicieuse nourriture, oubliant momentanément le club de l'Esperanza et ses malheurs pour se remplir l'estomac de tous ces mets fabuleux. Ils étaient si maigres, ce repas était de loin le meilleur de toute leur vie et ils le savouraient ensemble, comme une nouvelle famille unie par les drames.

Les jeunes donnèrent leur nom en racontant brièvement leur histoire à Hug et Lydia qui ne les connaissaient pas encore. La fillette blonde avait onze ans, s'appelait Qwil et venait de Britannie, comme Hug. Du même âge qu'elle, il y avait Azar, le garçon aux tâches de rousseur provenant de l'autre côté de l'Atlantique. Celui qui avait failli être servi comme "casse croûte de seize heures" à Greg Martin, avait douze ans et se prénommait Ty, exilé des terres extrême-orientales. Également des terres extrême-orientales, venaient les triplés de quatorze ans, Mia, Nala et Mike. Tous les autres étaient arrivés à Germania étant bébés et ne se souvenaient pas de leur pays d'origine. Il y avait Rita, quinze ans, Wayne, seize ans, Kio et Caïn, dix-sept ans, ainsi que Gox, dix-huit ans. L'aînée de la bande était Hagar, une jeune fille âgée de dix-neuf ans.

Ils passèrent le reste du repas à bavarder, boire et manger goulûment, jusqu'à ce que leurs ventres soient sur le point d'éclater. Qwil et Azar somnolaient tellement sur leur chaise que Gox devait les rattraper pour ne pas qu'il tombent. L'heure était extrêmement tardive, même Lydia commençait à avoir les paupières lourdes. Surtout après un aussi bon repas, la fatigue ne s'en faisait que d'autant plus ressentir.

Après avoir déposé toute la vaisselle sale dans l'emplacement prévu à cet effet dans la table intelligente, toute la troupe se leva pour se diriger vers les étages. Abrutis de sommeil, plus personne ne parlait.

Le manoir comportait plusieurs étages, chacun pouvait donc y trouver sa propre chambre. Lydia les accompagna individuellement jusqu'à leur nouvelle porte, leur souhaitant ensuite la bonne nuit. Après avoir salué les derniers, à savoir, Hug et Fabela, qui s'installaient dans des chambres voisines du troisième étage aux côtés d'Hagar, Lydia monta directement au cinquième et dernier étage.

Elle retrouva la chambre sans trop de difficulté. Cette chambre où Mr. C l'avait déposée après la vente aux enchères, d'où elle s'était échappée par le balcon. Elle sourit à cette pensée, refermant la porte derrière elle.

Elle n'alluma pas la lumière, laissant la lueur de la lune éclairer la pièce, lui conférant ainsi une atmosphère plus mystérieuse, plus calme, dans laquelle elle voyait presque aussi clairement qu'en plein jour.

Le grand lit blanc, moelleux à souhait, l'attendait et elle n'avait qu'une hâte, celle de se glisser dedans. Avant cela, elle prit toutefois le temps de farfouiller dans l'imposante armoire qui trônait dans un coin de la pièce. Sans trop faire attention à son contenu, elle y cacha l'énorme sac rempli de billets avant d'attraper une chemise de nuit blanche pour s'en vêtir, laissant enfin tomber sa tenue noire presque en lambeaux.

Elle détacha également le bandage autour de son crâne endolori. Du sang séché s'accrochait à son cuir chevelu mais elle n'avait tout bonnement pas l'énergie d'aller se laver.

Ne parvenant plus à tenir debout, elle se glissa entre les draps propres et douillets, l'estomac bien rempli, l'esprit libre et satisfait de ses accomplissements. L'intense confort qu'elle ressentait la fit rapidement sombrer dans un doux sommeil.

LUTÈCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant