5. Hug (partie 1)

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Zay entraînait Lydia à travers les rues odorantes. Elle semblait connaître cette zone de Gregville comme sa poche. Beaucoup de déchets jonchaient le trottoir, les obligeant à slalomer entre eux. Des chats amaigris au poil sale couraient derrière les rats. Les habitants de ce quartier respiraient la misère, leurs habits étaient souvent rapiécés. Certains d'entre eux faisaient les poubelles, les toisant d'un air sombre.

Plusieurs passants qu'elles croisaient dévisageaient Lydia avec curiosité. Certains fronçaient les sourcils. D'autres lançaient des "t'es belle chérie".

— Tu attires trop l'attention, finit par dire Zay alors qu'elles s'engageaient dans une ruelle déserte et étroite.

— Pourquoi cela ?

— Tes cheveux sont... un peu trop beau, expliqua Zay avec une moue gênée. On ne trouve pas cette couleur par ici. Tiens, cache les.

Elle farfouilla dans son sac à dos miteux et lui tendit un foulard noir. Lydia le noua en turban sur sa tête, veillant à bien dissimuler tous ses cheveux, visiblement, sources de conflit.

La suite de leur marche se déroulait beaucoup plus sereinement, plus personne ne faisant attention à elles. Après une trentaine de minutes passées à enjamber les déchets, esquiver de justesse un quelconque alcoolique zigzagant sur le trottoir ou encore éviter les innombrables trous dans le goudron, d'où il n'était pas rare qu'un rat de la taille d'un chiot n'en sorte, une vieille bicoque isolée tombant en ruines se dessinait devant elles. Perdue à la lisière d'un immense terrain vague s'étendant à perte de vue, la maisonnette était faite de bois moisi, grossièrement rafistolée à certains endroits, non pas avec des planches neuves, ce qui lui aurait fait le plus grand bien, mais avec un scotch bon marché dont les bords se décollaient mollement. 

Zay toquait à la porte d'une manière spécifique. Trois coups rapides, puis cinq coups très lents. Heureusement, elle ne mettait pas de force dans ses frapes, sinon, Lydia ne donnait pas cher de la résistance de la structure boisée.

La porte s'entrebâilla. La tête d'un homme méfiant en sortit. Cheveux châtain clair graisseux, barbe semi longue entremêlée, il avait tout l'air d'un type farouche. Il regardait Zay avec l'expression d'un homme qui allait mordre, puis ses yeux bleus injectés de sang se posèrent sur Lydia, qui restait sereine. Il fronçait les sourcils, ce qui rajoutait à l'antipathie qu'il dégageait déjà naturellement.

— C'est qui ? aboya-t-il méchamment.

Zay leva les yeux au ciel, un poing sur les hanches.

— Tu pourrais être un peu plus poli Hug ! le réprimanda-t-elle. Elle est avec moi.

— M'en fous de la politesse idiote ! Je t'ai dit mille fois de ne pas ramener d'inconnus ici !

Au lieu de s'en offusquer, Zay rigolait. Elle jeta un œil vers Lydia par dessus son épaule.

— Ma chère Lydia, je te présente Hug. Le plus grand gentleman de Gregville. Peut-être même de Germania !

Le dénommé Hug leva son majeur en direction de Zay, s'apprêtant à leur claquer la porte au nez, cependant, Zay fut plus rapide et coinça son pied dans l'entrebâillement, poussant brusquement ces quelques planches maintenues par des fils de fer. Hug fut projeté en arrière, proférant des insultes qui firent rougir Lydia. Toutes deux pénétraient, comme si de rien n'était, dans la bicoque tremblant sous le choc.

L'intérieur, aussi délabré que l'extérieur, sentait le bois, l'humidité et la terre. Quelques planches manquaient aux murs, donnant l'illusion de fenêtres grossièrement improvisées et le grincement peu encourageant du parquet cabossé faisait craindre à Lydia qu'il ne l'avale tout entière. La maison était surtout occupée par du matériel informatique en tout genre, des tonnes de câbles et de gadgets. Dans un tout petit coin de la pièce, il y avait un vieux matelas posé à même le sol ainsi qu'une minuscule cuisine, tellement insignifiante que Hug ne devait se nourrir qu'exclusivement de fils. Les bureaux, mangeant tout le reste de l'espace confiné, avaient pour la plupart un pied plus court que les autres, compensé par une pile de livre plus que bancale. Les lourds ordinateurs posés dessus, qui par un quelconque miracle ne provoquaient pas l'écroulement de la structure précaire, étaient, quant à eux, d'un entretien et d'une propreté impeccable. 

Tirant une chaise à roulettes sous un des bureaux, Hug s'y laissait tomber sans se donner la peine de dissimuler un soupir fortement agacé, en dévisageant, d'une mine peu amicale, Zay et Lydia. Cette dernière demeurait calme, sans trop savoir comment, elle parvenait à facilement analyser Hug qui ne dégageait aucune réelle animosité. Elle était certaine qu'il s'enfermait uniquement sous une carapace. 

— J'espère pour toi que c'est pas un coup fourré Zay ! s'énerva-t-il.

Sans y avoir été invitée, cette dernière s'installait également sur une des chaises, posant avec une grande nonchalance ses longues jambes sur la surface du bureau le plus proche.

— Tu me connais non, Hug ? Elle a besoin d'une carte. C'est tout.

Hug semblait se détendre un peu. Il dévisageait Lydia qui comprit qu'il faisait partie des Immigrés.

— Pourquoi tu ne dis rien l'étrangère, t'as perdu ta langue ? Tu viens d'où ? Qu'est-ce que tu viens foutre à Gregville ?

— Je ne sais pas, répondit simplement Lydia en haussant les épaules.

— Comment ça tu ne sais pas ? Tu te fous de ma gueule !?

— Non.

— Elle est amnésique Hug ! intervint Zay.

— Comment peux-tu savoir qu'elle ne te mène pas en bateau ? aboya Hug.

— Est-ce qu'elle a l'air dangereuse !? Quand je l'ai trouvée, elle allait se faire choper par les gardes à l'entrée de la ville !

— D'ailleurs, comment t'as fait pour me tirer de là ? lui demanda Lydia.

— J'ai juste balancé un pétard dans un coin pour détourner leur attention, expliqua Zay en se passant la main dans les cheveux, entortillant une mèche autour de son index.

— Ça change rien à la question ! s'énerva Hug. Qui nous dit qu'elle ne va pas aller nous balancer ?

— Elle ne nous balancera pas Hug, relax ! lança sournoisement Zay. Tu ne te détends jamais ou quoi ?

— Va te faire foutre Zay ! Il faut toujours que tu nous mettes dans la merde avec ton complexe de super-héroïne ! Qu'est-ce que t'as à vouloir ramasser tous les cas désespérés de cette saloperie de ville ?

— Tu vas la faire cette carte, oui ou non ? lui demanda posément Zay.

— Peut-être, mais pas gratuitement, dit fermement Hug.

— On n'a pas de fric Hug tu le sais !

— Je sais, je parlais plutôt d'un service.

— Crache le morceau !

Hug se levait lentement, farfouillait dans ses documents avant de se planter fièrement devant Zay, une enveloppe dans la main qu'il tenait un peu trop fermement par rapport à son attitude détachée, observait silencieusement Lydia.

— Je veux que vous alliez au club de l'Esperanza et que vous donniez cette lettre à une certaine Fabela. Le club est payant pour les hommes, gratuit pour les femmes. Vous entrerez sans difficulté, contrairement à moi.

— C'est qui cette Fabela ? demanda Zay d'un air suspicieux.

— Moins vous en saurez, mieux ça vaudra pour tout le monde ! répliqua Hug en grognant.

— Tu plaisantes j'espère ! Si tu crois une seule seconde que je vais...

— Je le ferai, dit Lydia.

Zay et Hug tournèrent à l'unisson la tête vers elle.

— Mais Lydia ! Il déraille complètement, s'indigna Zay. Ça pue le sale plan !

— Ça ne me fait pas peur, répondit Lydia en haussant les épaules. Et puis, si en échange j'ai ma carte de Citoyen, ça me semble être un bon compromis.

— Marché conclu alors ? lui dit Hug en lui tendant l'enveloppe qu'il peinait à lâcher.

— Marché conclu ! affirma Lydia la fourrant dans la poche de son pantalon.

Zay la regarda avec des yeux médusés en marmonnant quelque chose qui ressemblait à "j'espère que ça ne va pas mal finir cette histoire".


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