13. Chauffard

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Toute la semaine suivante, Hug, Zay et Lydia se préparèrent minutieusement, discutant de chaque détail, jusqu'à ce que chacun connaisse son rôle par cœur. Ils apprirent les plans d'architecte, en gravèrent chaque recoin dans leur mémoire. Ils rassemblèrent également divers éléments indispensables à leur réussite, tels que cagoules, scotch, endormisseur, fausses barbes, perruques, lunettes de soleil, vêtements, cutter, corde, tournevis, pince coupante...

La tâche fut longue, colossale, mais lorsqu'arriva le jour J, ils étaient fin prêts.

Ils étaient devant la bicoque, avec tout le matériel nécessaire dores et déjà dans leurs sacs à dos respectifs. Sans un mot, se souhaitant bonne chance intérieurement, ils se tapèrent dans les mains avant de sauter sur le quad de Lydia. Cette dernière était aux commandes. Zay s'agrippait à sa taille en faisant une petite prière. Hug s'accrochait à Zay, semblant tout aussi peu rassuré, il avait l'air d'être au bord de l'arrêt cardiaque. Lydia constatait avec amusement que ses deux partenaires n'avaient aucune confiance en ses talents de pilote.

Mettant le contact, Lydia démarra au quart de tour sous les cris de ses passagers qui se cramponnaient comme ils le pouvaient. Elle filait aussi vite que possible dans les rues de Gregville, faisant tourner plus d'une tête sur son passage.

Lydia savait exactement où elle devait se rendre et avait révisé l'itinéraire une bonne centaine de fois. Le trajet fut long, le trafic commençant à se densifier aux approches de neuf heures du matin. Hug et Zay semblaient se détendre un peu, prenant petit à petit confiance dans la conduite de Lydia, à moins que ce ne soit la vitesse de tortue de mise dans les embouteillages qui les rassurait au plus haut point.

— Bouge de là ! hurlait un automobiliste dans un œuf d'autruche à son voisin qui lui barrait la route.

— Tu vois pas que t'es pas dans ta voie, bouffon ?

— Ton laser est pointé sur ma caisse, t'es aveugle ou quoi ?

Plusieurs voitures, équipées de la technologie zéro gravité, s'élevaient au dessus des embouteillages en narguant tous les autres. Lydia les observait avec envie, se promettant d'installer ce système sur son quad dès qu'elle en aurait les moyens.

Après une bonne heure de conduite à écouter les grossièretés des habitants de Gregville au volant, la jeune femme se gara aux abords d'un grand entrepôt. Les trois complices regardèrent leur montre, constatant avec satisfaction que malgré les bouchons, ils avaient quelques minutes d'avance. Ils patientaient en silence, le stress commençant à monter en eux. Lydia tremblait. De peur et d'excitation. Sa gorge était sèche et sa main moite se resserra sur la poignée de gaz du quad.

Un camion de livraison sortit enfin de l'entrepôt pour s'engager sur la route. Le moment était venu. Après avoir camouflé leurs visages sous des cagoules, Lydia redémarra le quad pour le suivre de près, se plaçant volontairement dans son angle mort afin de ne pas être remarquée. Comme prévu selon l'itinéraire qu'ils avaient étudié, le camion finit par tourner dans une rue déserte, longeant des usines désaffectées où il n'y avait ni immeuble, ni piéton. Les seuls observateurs étaient des corbeaux, volant avidement au dessus des infrastructures abandonnées, couvertes de mousses et de lierres, à la recherche de quelconques vers à se mettre dans le bec.

Lydia actionna le moteur nitro sous les cris de Zay et Hug fortement impressionnés par la soudaine vitesse qu'ils prenaient, dépassant aisément le camion et dérapant pour lui faire face. Le chauffeur du monstre freina de toutes ses forces, klaxonnant bruyamment avant de s'arrêter juste devant le quad dans un horrible bruit de pneus surchauffés. Il descendit de son imposant véhicule.

— Non mais vous êtes complètement malades ! hurla-t-il. Vous avez trois secondes pour dégager avant que...

Il ne put terminer sa phrase car Hug et Zay s'étaient jetés sur lui pour lui faire faire de beaux rêves grâce à leur endormisseur. C'était une petite machine cylindrique qu'il suffisait d'actionner devant les yeux ouverts de la personne à endormir. Elle propulsait un flash qui faisait immédiatement perdre connaissance pendant plusieurs heures. Ils avaient pu s'en procurer un quelques jours plus tôt grâce à un contact louche de Zay dans Gregville.

Le chauffeur tomba raide sur la route.

Sans perdre une seconde, Hug grimpa dans le camion pour y actionner des boutons. Zay et Lydia trainèrent le chauffeur derrière le véhicule et patientèrent jusqu'à ce que Hug fit descendre la portière arrière qui s'abaissait jusqu'à toucher le sol, formant une pente douce permettant de grimper dans l'immense coffre. Les jeunes femmes hissèrent le chauffeur endormi à l'intérieur et le camouflèrent tout au fond, derrière de gros cartons.

La tâche effectuée, Lydia retourna à son quad, démarrant pour le faire grimper également à l'arrière du gigantesque véhicule. Il y entra sans problème entre les articles de livraison.

Hug les rejoignit à l'arrière, lançant les clefs du camion à Lydia. Les trois complices se regardèrent. Tout se passait selon leurs plans. Ils s'affairaient à vider deux cartons qui possédaient l'étiquette "Esperanza", sentant la pression qui les comprimait grimper d'un cran. L'adrénaline qui coulait à flot dans leurs veines pouvait leur faire faire une erreur à tout moment.

Quand les deux cartons furent vides, Hug et Zay se glissèrent à l'intérieur, chacun dans l'un d'entre eux. Lydia referma les cartons sur eux avant de les scotcher. Ils étaient parfaitement dissimulés.

La jeune femme rejoignit ensuite l'avant du camion pour s'installer sur le siège conducteur. Son cœur battait à la chamade. Elle soufflait, tentait de se calmer en fermant les yeux, laissant à son corps le soin de se rappeler précisément comment un tel engin se conduisait. Elle enfonça la clef dans le contact avec des mouvements incertains. Le moteur rugit. Elle réussit facilement à refermer la portière du coffre mais n'était pas sûre de comment démarrer. Il y avait plusieurs boutons et ce n'était visiblement pas un engin qu'elle avait l'habitude de conduire dans sa précédente vie.

Mais elle n'avait pas d'autre choix que d'essayer. Ses camarades à l'arrière comptaient sur elle. Elle pressa instinctivement certains boutons. Le monstre à seize roues s'ébranla. Il commençait à trembler mais n'avançait pas d'un pouce. Fortement secouée, Lydia tentait de comprendre ce qui se passait. Les roues semblaient s'échauffer sans faire avancer le véhicule. Le bruit était atroce, faisant fuir tous les volatiles aux alentours qui s'élevaient à l'unisson vers des cieux plus calmes.

Soudain, elle se rendit compte qu'elle n'avait pas enlevé le frein à main... Se maudissant intérieurement, la jeune femme fit descendre le levier brutalement. L'accélération fut telle qu'elle fut projetée avec force contre son siège. Elle entendit du bruit provenant du coffre et espérait que Zay et Hug allaient bien...

Elle n'avait pas le temps d'aller vérifier et, posant ses mains sur le volant qu'elle agrippait avec détermination, se concentrait sur la route devant elle.

Elle roulait vite. Trop vite. Elle avait du mal à garder sa trajectoire, cherchant frénétiquement du regard les boutons pour freiner. Un virage serré se dessinait droit devant. Il était proche. Diablement proche. Pourquoi continuait-il de se rapprocher aussi vite ? De grands caniveaux étaient creusés de part et d'autre de la route. Le bolide filait droit vers eux.

Lydia allait tous les tuer.

LUTÈCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant