20. L'apparition

591 71 1
                                        

Hug, Zay et Fabela se stoppèrent net devant la petite foule. Sous le choc, personne ne parlait. Ils n'entendaient plus que le bruit de la circulation dense qui animait les rues de Gregville. Quelques passants, qui jouaient des coudes pour traverser cette portion de trottoir, leur criaient grossièrement de dégager le passage.

Ce fut Fabela qui réagit la première. Elle ne semblait pas en croire ses yeux. Elle sauta parmi eux avec ses béquilles en pleurant. Les jeunes gens, ses anciens collègues esclaves du club, la prirent dans leurs bras, ils riaient, s'enthousiasmaient qu'elle aille bien. Ils semblaient également un peu ahuris, sans trop croire à ce qui leur arrivait.

— Vous... vous avez pu partir aussi ? leur demanda Fabela.

— Oui ! répondit un garçon d'une douzaine d'années. Ils nous ont enlevé notre collier ! Nous sommes libres !

— C'est génial, hein Fabela ? dit une fillette blonde en pleurant à chaudes larmes. On n'y remettra plus jamais les pieds !

Les plus âgés du groupe ne disaient rien, se contentant d'émettre l'ombre d'un pâle sourire. Ils avaient probablement traversé assez d'épreuves dans leur vie pour ne plus être capables d'éprouver le moindre bonheur.

— Comment est-ce possible ? demanda Fabela. Pourquoi nous ont-ils tous libérés ?

— C'est grâce à Lydia, répondit la fillette blonde.

Tous les regards se posèrent tout à coup sur la jeune femme. Zay, pourtant très heureuse que tous les esclaves du club aient été libérés, ne pouvait s'empêcher de la dévisager d'un air méfiant. Quant à Hug, il semblait curieux mais pas aussi inquisiteur, probablement trop reconnaissant que sa fille ait été sauvée.

— L'ezenziel z'est que tout le monde zoit zain et zauf, balbutia-t-il avec ses lèvres enflées.

Toute la jeune troupe hocha la tête.

— Où allons-nous tous loger papa ? lui demanda Fabela. Parce que l'on va emmener tout le monde avec nous n'est-ce pas ?

Les plus jeunes ex-esclaves écoutaient avec des yeux emplis d'espoir. Les plus âgés restaient sur leur réserve, ne croyant pas en la chance qu'un nouveau foyer puisse les accueillir. Ils étaient trop nombreux. Hug se grattait la tête, visiblement très embêté. Ils ne tiendraient pas tous dans sa minuscule bicoque.

— Ne vous inquiétez pas, déclara Lydia. Je connais un endroit où vous serez tous les bienvenus. Et en sécurité.

Après tout, elle avait les clefs du manoir, cela voulait bien dire qu'elle pouvait en faire ce qu'elle voulait, non ? Les enfants, qui ne se posaient pas de questions, hurlèrent de joie en sautant pieds joints sur le trottoir, sous le regard réprobateur des respectables Citoyens les croisant. Les plus grands adolescents avaient une lueur interrogatrice dans le regard ainsi qu'un mince filet... d'espoir. Hug eut d'abord l'air très surpris avant de secouer la tête avec un rire, décidant de faire confiance à la jeune femme.

— Toi alors ezpèze de f'ipouille !

Zay ne dit rien.

— Où est-ce qu'on va Lydia ? lui demanda Fabela avec excitation.

— Vous, vous allez tous prendre le métro jusqu'aux portes de Gregville, indiqua Lydia en glissant quelques billets dans la main de Hug. Moi, je vais récupérer mon quad et je vous y rejoindrais directement.

— Les portes de Gregville ? demanda une des adolescentes du groupe. Est-ce que ça veut dire que... que nous quittons cette maudite ville ?

— Oui, répondit Lydia.

Des exclamations joyeuses fusèrent. Les plus âgés du groupe parlèrent entre eux à voix basse et rapide. Pour la première fois, ils souriaient sincèrement.

Lydia les quitta tandis que la tribu s'enfonçait dans la bouche de métro de Gregville, guidée par Hug et Zay en tête de file. La fillette blonde du groupe se retourna pour faire un signe de la main à Lydia.

— À tout à l'heure Lydia ! lui lança-t-elle avant qu'ils ne disparaissent dans les souterrains.

La jeune femme se retrouvait seule dans la rue bruyante, s'autorisant quelques instants pour souffler.

Son corps était douloureux, notamment à l'arrière de son crâne bandé, là où le garde l'avait frappée. Elle était affamée et se sentait poisseuse. Le sang qu'elle avait perdu la rendait pâle et faible, cependant, elle éprouvait une fatigue bienheureuse. Elle avait accompli quelque chose aujourd'hui. Il y aurait probablement des conséquences à ses actes mais pour l'instant, elle voulait simplement s'en réjouir et offrir à ces pauvres gamins, le début d'une nouvelle vie.

Elle marchait d'un pas lent jusqu'à son quad, qui était garé non loin du club, à quelques rues d'ici. L'air s'était rafraichi et le soleil était à présent en fin de course, recouvrant le ciel d'une palette de couleurs nuancées de rose, jaune pâle, bleue et mauve, magnifique beauté camouflée par les haut gratte-ciel outrageux.

Avec un frisson, Lydia ouvrit le coffre de son véhicule pour se vêtir de sa tenue en cuir. Elle ne mit pas le casque, par crainte de la pression qu'il exercerait sur son crâne meurtri. Une fois son énorme sac bien en sureté dans le coffre, elle grimpa sur le quad, s'apprêtant à démarrer lorsqu'un étrange sentiment l'envahit.

Elle regarda partout autour d'elle. Quelques piétons, pressés de fuir la fraîcheur nocturne, marchaient à vive allure sur les trottoirs propres de ce quartier chic. L'éclairage public s'était allumé et les pâles lueurs dansantes rendaient presque l'atmosphère vivante. Les voitures klaxonnaient sur la route et quelques hélicoptères et drones sillonnaient le ciel.

C'était en parcourant des yeux les buildings lui faisant face que Lydia le vit. Là, sur le toit d'un petit immeuble à la façade entièrement en verre, debout sous le crépuscule, se dressait majestueusement un homme vêtu d'un costume noir.

Ce qui traversa immédiatement la tête fatiguée de Lydia, fut l'image de l'adolescent rieur sur sa moto. Caelan. Mais lorsque leurs yeux se rencontrèrent, ceux de l'homme étaient d'un noir profond et non pas d'un bleu électrique. C'était Mr. C.

Que faisait-il perché ainsi ? Elle l'ignorait. Pourquoi la suivait-il ? Elle l'ignorait également. Leur regard resta figé l'un sur l'autre un long moment. Un fil invisible les reliait et ce lien indéfectible ne faisait que rajouter une intense confusion dans l'esprit embrumé de la jeune femme. Elle devait absolument comprendre. Elle voulait. Elle voulait tellement. Cette chose qui était sur le point de lui revenir en mémoire. Elle s'en souvenait presque. C'était là, elle pouvait presque la toucher. La frustration s'emparait d'elle. Sa tête lui fit mal. Elle ferma les yeux. Lorsqu'elle les rouvrit, le toit de l'immeuble en verre était désert. Mr. C avait disparu.

Ils se recroiseraient, elle le savait. Elle pourrait alors le rembourser. Il devait déjà être au courant qu'elle avait l'argent. Il n'était visiblement pas pressé de le récupérer.

Cela ne servait à rien d'essayer de comprendre cet homme. Il était, tel de la fumée, impossible à saisir. Mais s'il y avait de la fumée, c'était qu'un brasier incandescent se dissimulait par dessous. Lydia devait prendre garde à ne pas s'y brûler les ailes.

Mettant les gaz, elle fila dans l'air nocturne sans un regard en arrière, roulant jusqu'aux portes de Gregville en pensant à un avenir incertain.

LUTÈCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant