Aux commandes de son quad depuis maintenant presque une heure, Lydia avait les mains tellement engourdies par le froid qu'elle craignait de ne plus jamais pouvoir les détacher des manettes de sa bécane. Elle était concentrée, tantôt sur la route, tantôt sur le GPS, s'autorisant de temps à autre à admirer le paysage à la fois beau et sinistre qui défilait sous ses yeux.
La route bétonnée était couverte d'une couche de givre, Lydia roulait donc dessus à une vitesse raisonnable, ce qu'approuvait Zay, cramponnée à ses hanches et lâchant de temps à autre des commentaires tels que "qu'est-ce qu'il caille !" ou alors "je sens plus mes jambes !" ou encore "ça ne m'avait pas paru si long quand j'ai fait la route toute seule, tu es sûre d'avoir mis la bonne adresse dans le GPS ?". Heureusement, pour limiter leur inconfort du à cette féroce météo, leur tête était protégée par un casque, leur évitant ainsi d'être fouettées au visage par cet impitoyable vent glacé.
De part et d'autre de la route, s'étendaient de vastes terres désertes, rendues pailletées par le gel, ce qui donnait l'impression à Lydia de rouler au milieu d'un océan glacé dans fin. Rien ne se dessinait à l'horizon et les seules bâtisses parsemant le paysage étaient des ruines taguées qui semblaient dater d'une ancienne époque.
Le trafic était très fluide, seuls quelques camions équipés de pneus technologiques antigels avaient croisé leur chemin. Zay lui avait dit qu'il était encore tôt pour le travail et que les gens censés étaient probablement chez eux en train de siroter un bon chocolat chaud tandis qu'elles, elles se gelaient le... l'arrière train. Lydia lui fit remarquer que c'était elle qui avait pris rendez-vous pour la transaction à neuf heures tapantes dans une ville aussi lointaine. Le soleil n'avait même pas eu le temps de réchauffer un tant soit peu l'atmosphère. "Quel soleil ?" avait-elle grommelé presque à la manière de Hug, marquant toutefois un point. Le ciel était tellement couvert que la pâle luminosité qui s'échappait des nuages faisait penser à celle d'un début de soirée.
Lydia baillait pour la énième fois sous son casque. Heureusement qu'elle avait bu ce quadruple expresso avant de sortir, sinon elle n'aurait pas tenu le coup. La moitié de la nuit qu'elle avait passé à pleurer avait été, certes, douloureuse, mais lui avait permis d'évacuer ses émotions et de faire le ménage dans son esprit. Son désir de vengeance était à présent limpide comme de l'eau de roche et chaque battement de son cœur lui servirait à œuvrer dans ce but.
Les minutes défilaient avec lenteur et l'horizon restait désespérément désertique et verglacé. Un troupeau d'ânes sauvages se dessinait sur le bord de la chaussée. Ces bêtes charnues, qui étaient collées les unes aux autres pour se tenir chaud, ignorèrent totalement le quad qui les dépassa bruyamment, sans doute trop occupés à de spirituelles activités, telles que la contemplation du reflet de la lumière fantomatique venant du ciel sur la terre étincelante.
Une brume opaque se dessinait devant les jeunes femmes, réduisant la visibilité de la conductrice qui peinait déjà à maintenir sa trajectoire sur la chaussée glissante. Elle n'avait pas d'autre choix que de ralentir pour ne pas risquer un accident.
Lorsque la brume se levait enfin, Lydia aperçut au loin, avec un immense soulagement non dissimulé, les premiers immeubles de la ville de Kiev. Quelque avions sillonnaient le ciel, y laissant une longue trainée de fumée grisonnante. Lydia constata avec soulagement que cette ville n'était pas entourée d'un mur, contrairement à Gregville, ce qui facilitait l'entrée en son sein. De loin, elle pouvait également distinguer deux couleurs principales, le rouge et le vert, ressortant de l'architecture impressionnante qui semblait par endroit défier les lois de la gravité, notamment par des constructions splendides en forme d'arches perchées à une centaine de mètres au-dessus du sol.
Si Greg Martin se prenait pour un homme important par sa fonction de maire, sa ville à lui était tout simplement minable en comparaison de celle qui se dessinait sous les yeux ébahis de Lydia.
Maintenant que la vue était dégagée, elle accéléra, pressée d'arriver à l'agence pour enfin être au chaud. Des gigantesques drapeaux étaient perchés à l'entrée de la ville, sur lesquels figuraient les armoiries de Germania, deux serpents encadrant un "G" orné d'arabesques. Il était presque neuf heures du matin et les rues de Kiev commençaient à s'animer. Les habitants harponnant les trottoirs verglacés, marchant à vive allure pour aller rapidement se mettre au chaud, étaient presque tous élégamment vêtus de manteaux à fourrures rouges ou vertes, qui étaient visiblement les couleurs officielles de cette ville.
Le GPS conduisit Lydia jusque devant un imposant bâtiment qui était tellement haut qu'il semblait traverser les nuages et d'un verni vert tellement étincelant qu'il piquait les yeux fatigués de la jeune rousse. Elle se gara sur la chaussée. "Drôle de tour de business", songea-t-elle en la parcourant des yeux de bas en haut, manquant de se faire un torticolis.
Zay et Lydia descendirent péniblement de la bécane, s'aidant mutuellement tant elles étaient engourdies. Elles rangèrent leurs casques dans le coffre, attrapant au passage le sac de billets. Lydia soufflait avec énergie sur ses mains pour tenter d'en récupérer l'usage, provocant la sortie d'une buée opaque d'entre ses lèvres. Zay sautait d'un pied à l'autre, frigorifiée.
— On entre ou c'est pour demain ? s'impatienta-t-elle, une main sur la porte, prête à l'ouvrir.
— Allons-y, répondit Lydia se disant que, visiblement, le froid rendait son amie de très mauvaise humeur.
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LUTÈCE
Science FictionA son réveil, tout est flou, tout est vide. Le monde tremble. Quel est son nom déjà... Ly...Lydia. Quelle est cette scène où elle se trouve ? Où l'on crie son nom, où la lumière est aveuglante, où l'on scande des prix. C'est une vente aux enchères...