Il y avait différents types de sensations désagréables qu'un corps humain pouvait ressentir. Par exemple, un bourdonnement incessant dans les oreilles, un douloureux frisson lorsqu'une fourchette raclait une assiette ou encore une intense impression de suffocation suite à l'immersion brutale dans un océan froid après un long moment passé sur le sable chaud.
C'était cette dernière sensation que ressentait Lydia en ce moment. La chambre numéro treize, comme toutes les autres chambres du club, ne comportait aucune issue. Elle le savait car elle avait passé des journées entières à mémoriser le plan du club. Du moins, les parties d'intérêts. La lourde porte qui maintenait la chambre close ne pouvait pas s'ouvrir manuellement de l'intérieur. Elle s'ouvrait d'elle-même, automatiquement, à la fin de l'heure. Ceci étant pour empêcher les esclaves de s'enfuir avant la fin du temps payé par le client pour être en leur compagnie.
L'alarme était assourdissante. Fabela, qui semblait sur le point de perdre connaissance, appuyait ses mains sur ses oreilles pour se protéger de ce son infernal.
La vue de l'adolescente pétrifiée fit immerger Lydia de son propre océan de terreur. Elle devait agir. Trouver un moyen. N'importe lequel. Les lois de Gregville et de Germania que lui avait expliquées Zay lorsqu'elle logeait chez elle tournaient en boucle dans sa tête surchauffée.
Fabela était une Immigrée. Si elle se faisait attraper en tant que complice d'une entrée par effraction ainsi que de l'agression d'un employé du club, elle risquait la peine de mort, avec pour seul procès, l'approbation du maire. Quant à Lydia, combien même ils ne découvraient pas que son statut citoyen était truqué, avec son faible niveau de carte, elle risquait, au mieux, la torture, au pire, un procès expédié en cinq minutes qui rendrait comme verdict la peine de mort également. Ou l'esclavage. Ou l'esclavage avant la peine de mort.
La jeune femme tentait de toutes ses forces de ne pas penser à Hug et Zay en ce moment. Elle voulait croire qu'ils ne s'étaient pas fait attraper. Qu'ils avaient réussi à s'enfuir. Oui, c'était cela. Ils étaient à présent loin et en sécurité.
L'alarme s'arrêta brusquement.
— Que... que se passe-t-il ? demanda Fabela d'une toute petite voix en enlevant ses mains de ses oreilles.
— Je ne sais pas, mais on ne va pas rester ici à attendre de le découvrir. Viens, aide-moi s'il te plaît.
Lydia commençait à pousser le lit vers le mur. L'adolescente, perplexe, l'y aida. Elles le placèrent juste sous la grille d'aération.
Grimpant sur le lit, la jeune rousse tentait d'atteindre la grille, en vain. Celle-ci était beaucoup trop haute. Essuyant la sueur qui perlait sur son front, elle eut soudain une idée.
— Fabela, viens sur mes épaules !
L'adolescente, tremblante, s'exécuta. C'était leur dernière chance. Lydia s'accroupit sur le lit pour la laisser se hisser sur elle. Certes, elle était maigre, cependant, Fabela l'était encore plus. Elle put se relever en titubant légèrement, s'appuyant contre le mur pour garder son équilibre.
— Tu atteints la grille ?
— Je... non... déplace-toi un peu plus à droite.
Lydia effectua difficilement un pas vers la droite, commençant à sentir le poids l'écraser. Son dos allait lâcher. Elle serrait les dents pour se forcer à tenir.
Du bruit se faisait entendre en provenance du couloir. Cela ressemblait à des pas précipités. Il semblait y en avoir plusieurs. Lydia avait du mal à respirer, la pression était trop intense.
— Dépêche-toi Fabela, ils... ils arrivent !
Elle entendit un gémissement de terreur, puis un petit cri de victoire.
— J'ai attrapé la grille !
— Super, maintenant tire de toutes tes forces Fabela !
Lydia l'entendit s'acharner, gémir sous l'effort. Elle mettait toute sa force pour arracher cette foutue grille.
Les pas se faisaient plus proches que jamais, tambours sinistres annonçant la fin d'une expédition, la fin d'un voyage. Ils s'arrêtèrent. La porte de la chambre émit un son. Ils étaient juste derrière.
— Dépêche-toi Fabela je t'en supplie ! Arrache cette grille !
— Je... je n'y arrive pas !
C'était certain. La grille ne se dévissait que de l'intérieur. Lydia le savait. Elle ne voulait simplement pas l'accepter. Pas l'admettre. Elle s'était dit qu'il y avait peut-être un défaut de fabrication, que peut-être les plans du club mentaient. Ils ne mentaient pas. Elles étaient prises au piège.
Le dos de Lydia flancha. Perdant l'équilibre Fabela tomba sur le lit. Les murs de la chambre semblaient se refermer sur elles, comme un piège mortel coupant toutes leurs issues, les réduisant au stade de lapins effrayés dans un cul-de-sac tandis que le renard approchait.
"Ouverture d'urgence enclanchée, chambre treize", dit la voix désincarnée de leur porte. Cette dernière s'ouvrit lourdement, crachant une poignée de vigiles cagoulés qui fonçait vers elles d'une lenteur irréelle.
Lydia n'eut que le temps d'apercevoir une matraque s'abattre sur son crâne avant qu'un flash lumineux ne brouille sa vision et qu'une intense douleur n'irradie tout son corps.
**
Lydia était enfant, elle s'amusait sur sa moto jouet dans ce qui semblait être un grand terrain de jeu. Au-dessus de sa tête, le ciel était faux. Il n'y avait ni vent, ni oiseau. Elle roulait en riant, dévalant les pentes, les remontant et recommençant encore et encore. Elle s'amusait comme une folle.
Un petit garçon assis en tailleur sur le sol du terrain de jeu, la regardait de loin. Blond et de quelques années son aîné, il avait une tablette holographique dans les mains. Elle diffusait un film en relief, qu'il suivait d'un œil distrait, bien trop occupé à observer Lydia d'un regard mauvais.
Cette dernière, fatiguée de dévaler les pentes, le rejoignit.
— Pourquoi tu ne joues pas avec moi Smaïr ?
— Pourquoi j'aurais envie de jouer avec toi ?
— Parce que nous sommes cousins !
— Non. Je suis ton cousin bâtard. On n'est pas dans la même catégorie.
— Bâtard ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
— Ça veut dire qu'on n'a pas tous de la chance dans la vie.
Il la regardait d'un air méchant. Envieux. Lydia ne comprenait pas. Souhaitant le consoler, car, pour elle, il était simplement triste, elle lui tendit sa moto jouet.
— Tiens, fais un tour dessus, tu verras, c'est super !
Smaïr laissa tomber sa tablette et s'en empara avidement. Il enfourcha le jouet, démarrant bien trop rapidement.
— Ne va pas si vite ! lui cria Lydia tandis qu'il fonçait dangereusement vers la pente.
Trop tard. La moto se renversa et le garçon blond fit un vol plané. Lydia courut vers lui, l'aidant à se relever. Il s'était entaillé profondément le visage.
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LUTÈCE
Science FictionA son réveil, tout est flou, tout est vide. Le monde tremble. Quel est son nom déjà... Ly...Lydia. Quelle est cette scène où elle se trouve ? Où l'on crie son nom, où la lumière est aveuglante, où l'on scande des prix. C'est une vente aux enchères...