46. ADN

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Lutèce, vingt-trois ans plus tôt, Grand Laboratoire Central


C'était un spacieux laboratoire. Plusieurs paillasses au carrelage d'un blanc usagé occupaient l'espace, jonchées de fioles, verreries, papiers et ordinateurs. Une tasse encore fumante était négligemment posée sur un des coins, dégageant une agréable odeur de café qui masquait tant bien que mal les senteurs putrides d'une chimie plus que douteuse. L'un des robinets de la pièce ne cessait de goutter dans son évier. "Plouf". "Plouf". Ce bruit était entêtant, agaçant et rappelait celui du temps qui courait, que l'on ne pouvait jamais rattraper.

L'enfant Lydia était assise sur une chaise entre deux paillasses. Le siège était bien trop haut pour elle, ses pieds ne touchaient pas le sol et elle s'amusait à les balancer l'un après l'autre dans le vide. Elle contemplait d'un regard creux un bassin en verre rempli d'un liquide étrange. Il était assez grand pour y faire tenir un homme allongé, semblait confortable, comme une grande baignoire transparente et aurait pu paraître accueillant, s'il n'y avait pas eu tous ces branchements et ces appareils peu sympathiques.

Un homme se penchait sur Lydia. Arborant une blouse aux insignes de Lutèce, il avait un début de calvitie et sa main tremblait sensiblement tandis qu'il l'examinait, mettait de la lumière dans ses yeux, testait ses reflexes. 

 C'est quoi ça ? l'ignorait l'enfant Lydia en pointant son petit doigt sur le bassin.

L'homme en blouse ne répondait pas. Sa pomme d'Adam proéminente remontait d'un cran tandis qu'il déglutissait. Très peu à l'aise, il examinait à présent sa bouche, sa dentition. La petite fille, énervée de son silence, mordit puissamment cet amas de peau s'aventurant si près de ses canines.  

"AAAAH", hurlait le scientifique en enlevant rapidement sa main. Du rouge en coulait. La petite crachait un morceau de chair tranquillement, comme si de rien n'était. 

 C'est quoi ça ? demandait-elle de nouveau en pointant toujours ce qu'elle pensait être une baignoire transparente.

L'homme, effrayé, se reculait, tenant sa main. Son dos heurta la paillasse juste derrière lui. La tasse de café tombait, tombait, tellement lentement que l'enfant pouvait en décomposer le mouvement. Un bruit de porcelaine brisée résonna dans le laboratoire. Une flaque du délicieux breuvage se rependait sous les yeux exorbités de l'homme-à-la-calvitie, qui décidait de s'en servir comme excuse pour ne plus approcher Lydia. Un fastidieux nettoyage l'attendait, qu'il voulait désespérément rendre le plus long possible. 

Une autre voix répondit à l'enfant. Une voix froide. Puissante. Dans le dos de la petite fille.

 Ça, ma fille, c'est mon utérus. C'est là dedans que tu as grandi. 

L'enfant Lydia ne quittait pas le bassin des yeux. Sans se retourner vers cette voix glaciale, elle essuyait distraitement le sang du scientifique qui commençait à sécher aux commissures de ses lèvres.

 Tu es ma mère alors ou c'est cette baignoire ?

— Si tu fais tes preuves, je serais ta mère. Si tu me déçois, c'est ce bassin qui le sera.

L'enfant avait les yeux dans le vide. Elle ne fixait que les parois transparente de l'utérus artificiel.

 Mère en chair ou mère en verre, réponds-moi... Qui est mon père ?

 Ton père est une belle bête. Féroce. Terrible. J'attends de toi que tu sois comme lui. Ma fille. Ma création. Ma plus belle création. Mon arme de destruction. Détruit... Détruit... Détruit. Avec toi, le monde se soumettra.

LUTÈCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant