18. Négociations (partie 1)

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La loge privée de Greg Martin se situait au troisième et dernier niveau du club. Elle était somptueuse, ornée de riches tapisseries et de confortables fauteuils en velours d'un rouge criard. La lumière tamisée créait une ambiance cosy et l'insonorisation y était totale, de sorte qu'aucun bruit en provenance des autres niveaux sulfureux du club n'y parvienne. Ou inversement, qu'aucun son douteux émanant de la loge ne parvienne jusqu'à des oreilles indiscrètes. Ce qui devait être bien pratique pour l'homme aux mœurs plus que contestables qu'était Monsieur le maire.

Une fausse fontaine à eau murale émettait un clapotis sinistre et des fougères en plastique complétaient le tableau d'une artificialité affligeante. Tout respirait le faux dans cette pièce.

Il y avait un bureau connecté, à la pointe de la technologie, tout au fond de la loge, cependant, lorsque la porte se referma derrière Lydia, Greg Martin lui fit signe de plutôt s'installer sur l'un des fauteuils.

Il semblait nerveux, ne cessant de s'éponger le front à l'aide d'un chiffon d'un blanc éclatant. Il croisait les jambes, tentant d'afficher un sourire aux dents parfaitement alignées qui, tout comme sa loge, puait le mensonge.

C'était un homme d'une quarantaine d'années, bien que les progrès de la chirurgie, dont il devait largement bénéficier d'après son lifting impeccable, le rajeunissaient considérablement. Il n'avait pas de particularité. Ses cheveux bruns étaient coupés courts avec minutie et sa barbe était taillée au millimètre près. Il portait un costume magenta et des chaussures tellement propres que l'on pouvait manger dessus.

Lydia faisait tâche dans le décor. Avec ses cheveux roux collant de sueur, sa tenue noire déchirée, ses blessures, ses cernes prononcées et le bandage tâché de sang enroulé à la va-vite autour de son crâne par des employés du club, elle était sûre que Greg n'avait qu'une envie, celle de la plonger tout entière dans un bain désinfectant bourré de produits chimiques.

Elle espérait qu'elle allait laisser quelques traces de saleté sur le luxueux velours, imaginant Greg, vert de dégoût, appeler d'urgence un employé pour la désinfection totale de la loge.

Pressée d'en finir avec cet entretien, toutes ses pensées étaient tournées vers ses camarades dans la cave, souhaitant de tout cœur qu'ils aillent bien. Que Fabela soit hors de danger...

— Lydia, Lydia, Lydia ! s'exclama Greg d'un ton mielleux tellement forcé qu'il montait dans les aigus.

Même sa voix était fausse.

— Quel plaisir de vous revoir ma chère Lydia... !

La jeune femme ne répondit rien. Elle se contentait de le fixer avec une expression de profond dégoût, une chose se réveillant doucement en elle tandis qu'elle plongeait dans son regard vitreux.

— Euh... oui... bien ! Entrons dans le vif du sujet, voulez-vous ?

Il s'épongea de nouveau le front.

— Mes hommes ignoraient que c'était vous... bien entendu ! Ainsi que vos... vos... amis ! Sinon, il est évident qu'ils vous auraient traités avec le plus grand respect, cela va de soi ! Je suis le seul ayant pu garder votre visage en mémoire, ces bougres ne pouvaient absolument pas deviner... Vous comprendrez qu'il s'agisse d'un affreux malentendu... et qu'il n'y a nul besoin d'en informer Mr. C...

Un éclair de compréhension traversait l'esprit de Lydia. Elle connaissait enfin la raison de cette mascarade. Ou du moins, elle en avait la confirmation.

— Un. Affreux. Malentendu ? articula-t-elle lentement, empêchant sa rage d'exploser. Vos hommes ont tiré dans le tibia d'une gamine innocente et vous appelez ça un malentendu ?

Tout en Greg Martin la dégoûtait. De ses dents trop blanches jusqu'à la propreté irréelle de son costume. Elle prenait un plaisir sauvage à le voir transpirer à grosses gouttes et devenir aussi pâle qu'un fantôme, la chose en elle grandissant davantage, noircissant son esprit à petit feu.

— Pour eux ça n'était qu'une escl... je veux dire... ils ne pouvaient pas deviner son importance à vos yeux... Je vous promets que mon équipe médicale est des plus qualifiées pour ce genre de bavure... Elle doit en ce moment même bien prendre soin de l'escl... euh de Fabina. Je m'engage solennellement auprès de vous à ce qu'elle soit remise sur pied dans les plus brefs délais.

— C'est Fa-be-la. Vous ne connaissez même pas le nom des pauvres enfants que vous réduisez en esclavage ?

— Vous comprendrez qu'avec mes fonctions de maire je suis un homme très occupé... Je... je m'occupe à peine du club à vrai dire ! Ce sont mes employés les fautifs, ce sont eux qui gèrent tout ! Croyez-moi, ils seront sévèrement punis...

— Ne vous cachez pas derrière vos employés, cela vous fait paraître encore plus ignoble que vous ne l'êtes déjà, Monsieur le maire. C'est votre club, vos actions dégoûtantes, votre responsabilité.

— Vous... vous savez... rien de ce qui se passe ici n'est illégal. Tout est en règle et respecte les lois de l'Empire de Germania...

— Pour l'instant. Mais tôt ou tard, les règles vont changer.

Elle avait prononcé ces derniers mots d'une voix basse, glacée, lourde de menaces. Ses yeux verts étaient campés droit dans ceux de Greg et ne cillaient pas. Elle avait l'allure, en ce moment précis, d'une tueuse froide et sans pitié, dégageant une aura tellement sombre qu'elle fit blêmir encore davantage le maire, en proie à une terreur silencieuse.

Lydia se surprit elle-même à parler avec autant de conviction, de force. Cela lui était venu naturellement, comme si ce n'était pas la première fois.

— Qui... qui... qui êtes-vous ? balbutia Greg.

Si seulement le savait-elle. Cependant, elle doutait de plus en plus d'être quelqu'un de... recommandable. Elle était toutefois un peu déçue car elle pensait que Greg aurait pu lui en apprendre davantage sur son identité. Mais visiblement, tout ce que le maire savait, c'était qu'elle était d'une quelconque importance pour Mr. C, qui, de toute évidence, le terrorisait au plus haut point.

— Vous... vous savez Lydia... poursuivit Greg, voyant qu'elle ne répondait pas. Je... je sais que ça ne compense pas l'affreux outrage d'aujourd'hui mais... je vous ai sauvé la vie. Il y a environ six mois de cela.

Lydia repensa aussitôt à son rêve. Celui où elle était branchée à plusieurs tuyaux, après sa chute de la falaise.

— C'est vrai, dit-elle d'un ton calme. Je m'en souviens.

Le visage de Greg s'illumina aussitôt, il s'accrochait à cette bouée de sauvetage pour reprendre du poil de la bête.

— C'est merveilleux n'est-ce pas ? Vous étiez sacrément mal au point et dans un coma profond pendant plusieurs mois ! Mon équipe a fait des miracles ! Ils ont ressoudé chaque os brisé et...

— Que ce soit bien clair, le coupa Lydia, je ne vous dois rien du tout. Ma dette envers vous s'est effacée à la seconde même où vous m'avez proposée comme marchandise dans votre vente aux enchères.

LUTÈCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant