Les quelques couleurs qu'avait récupéré le visage de Greg disparurent aussitôt. Il s'essuya de nouveau le front. Son chiffon était à présent trempé.
— En parlant de ça Lydia... Vous comprendrez ma confusion... Vous n'aviez pas de papiers sur vous... enfin les hommes qui vous ont trouvée, probablement très incompétents je m'en rends compte aujourd'hui, n'ont vu aucun papier... Je ne pouvais pas deviner que... enfin, vous comprenez n'est-ce pas Lydia ?
— Je ne comprendrais que lorsque vous aurez accepté deux requêtes.
Tremblant, Greg se redressa sur son fauteuil, craignant le pire.
— Je... je vous écoute.
— La première requête est pour me dédommager de toute l'humiliation que vous m'avez fait subir. Je veux dix millions de billets. Que dis-je ? Douze millions. Des intérêts se sont ajoutés au moment où vos hommes ont tiré sur Fabela.
Le maire afficha pendant quelques secondes une expression sauvage, hideuse. Lydia avait touché un point sensible, celui qui faisait tomber plus d'un masque de beauté et de perfection pour dévoiler un vrai visage monstrueux. L'argent. L'outrage que lui inspirait la demande de Lydia prenait le dessus sur la peur qu'il ressentait.
— Vous comprendrez que ça n'est pas possible, dit-il sans bégayer cette fois-ci.
— C'est tout à fait possible. Mr. C avait jeté à vos pieds une mallette contenant dix millions. Rendez-la moi et ça sera comme si cette vente n'avait jamais existé. Et deux millions supplémentaires, pour un homme riche tel que vous, ne représentent qu'un amuse-bouche.
— Je vous le répète, ce n'est pas possible. Cet argent est désormais la propriété de Gregville. Une partie a servi à couvrir vos frais médicaux. Six mois dans le coma, cinquante opérations chirurgicales de précision, vous ne pensez tout de même pas que c'est gratuit ?
— Allons, un homme aussi charitable tel que vous peut bien faire une bonne œuvre dans sa vie ? Pour racheter son âme.
— J'aurais du vous laisser crever aux pieds de cette falaise.
Il laissait enfin tomber son ton mielleux pour dévoiler le fin fond de sa pensée.
— Vous auriez du, mais vous ne l'avez pas fait, déclara Lydia d'une voix glaciale. Payez maintenant.
— Pour qui vous prenez-vous jeune insolente ? Vous semblez oublier à qui vous avez à faire. Je suis Citoyen Émeraude de l'Empire de Germania. Je suis l'homme le plus important de Gregville. J'ai déjà fait preuve de beaucoup de patience et de compréhension. J'ai libéré vos amis alors qu'ils sont entrés par effraction dans MON club et que cela pouvait normalement être passible de peine de mort ! J'ai même eu l'immense gentillesse de faire soigner une foutue esclave qui aurait eu sa place dans un cirque tant elle n'a jamais réussi à satisfaire le moindre client ! Je me suis plié à vos réclamations, mais là, c'en est trop ! Vous avez l'audace de m'insulter et de me réclamer de l'argent ! Argent qui ne vous appartient même pas ! Autant que je sache, c'est Mr. C qui a payé ! Et combien même je devrais le rembourser, c'est à lui et à lui seul que je donnerais le moindre billet ! Est-ce clair ?
Lydia souriait. D'un sourire sinistre. La chose terrifiante en elle avait envie de... Elle voulait... elle voulait tellement...
Greg se tut, semblant quelque peu fâché contre lui-même d'avoir ainsi perdu le contrôle de ses propos. Mais c'était trop tard à présent, il en avait trop dit. Il n'avait plus d'autre choix que de faire semblant d'être stoïque et d'assumer ses dires.
La jeune femme le regardait avec un visage dur comme la pierre, répondant lentement, tout en levant son bracelet devant sa bouche.
— Je vais l'appeler sur le champs, bluffa-t-elle. Nous verrons bien ce qu'il en pense.
Greg ne réagissait pas, feignant même l'indifférence. Cependant, Lydia pouvait observer une légère contraction de sa mâchoire, ainsi qu'une veine sur une de ses tempes qui battait un peu trop rapidement. Cela le trahissait. Il était effrayé et la jeune femme pouvait même deviner qu'en ce moment même, il retournait la situation dans tous les sens dans sa tête, se demandant si elle allait réellement appeler Mr. C ou si elle se moquait de lui.
Là encore, Lydia se surprit elle-même de la facilité avec laquelle elle lisait en lui, bien que ce n'était pas la première fois. Elle savait déchiffrer le moindre détail corporel, la moindre expression faciale ou contraction d'un quelconque muscle. C'était comme un livre, il lui suffisait de lire. Enfin, c'était sans doute à la portée de n'importe qui. Une particularité sans importance, toutefois bien utile.
Pendant quelques secondes, ils n'entendaient plus que le clapotis de l'eau s'écoulant de la fausse fontaine murale. Lydia approcha un peu plus le bracelet de ses lèvres, ne laissant transparaître aucune hésitation, fixant Greg avec des yeux froids, dénués d'émotion.
— "Appeler Monsieur...", commença-t-elle à dire d'une voix qui ne tremblait pas.
— Attendez ! cria Greg en la coupant.
Elle baissa le bracelet en feignant de soupirer.
— Que j'attende quoi ? Je croyais que vous vouliez voir ça avec lui. Je vous assure que ça sera vite réglé si vous me laissez l'appeler.
Le maire sortit un nouveau chiffon blanc de la poche de son costume et s'essuya le visage. Une bonne couche de fond de teint imprégna aussitôt le tissu immaculé. Les mots sortant péniblement de sa gorge semblaient le brûler autant qu'un venin particulièrement douloureux.
— Je vais vous donner l'argent.
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LUTÈCE
Science FictionA son réveil, tout est flou, tout est vide. Le monde tremble. Quel est son nom déjà... Ly...Lydia. Quelle est cette scène où elle se trouve ? Où l'on crie son nom, où la lumière est aveuglante, où l'on scande des prix. C'est une vente aux enchères...