7. L'Esperanza (partie 2)

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Lydia quitta précipitamment le club infect, retrouvant l'animation de ce quartier d'affaires de Gregville, respirant bruyamment, luttant de toutes de ses forces pour ne pas y retourner arracher ces sourires méprisants et tirer ces pauvres jeunes Immigrés des griffes de ces porcs infâmes. 

Progressant lentement sur le trottoir, elle récupérait petit à petit ses esprits, se souvenant qu'elle devait contacter Hug pour lui dire qu'elle voulait absolument l'aider dans ses projets. Mais d'abord, pour aujourd'hui, elle devait trouver un endroit où loger avant qu'il ne fasse nuit.

Les réverbères s'allumaient au fur et à mesure que tombait le soleil, inondant le ciel d'un éclat rosé dont les habitants de Gregville se fichaient éperdument, marchant le nez dans leur tablette, leur agenda virtuel projeté autour de leur tête à l'aide de lunettes technologiques ou encore leur station d'information portative, qui était une petite sphère terrestre au creux de leur paume, tournant sur elle-même selon la zone du globe concernée et projetant les news devant leurs yeux hagards.

Lydia pouvait dormir sur un banc, il y en avait un petit paquet à chaque bout de rue, cependant, avec tout ces piétons bruyants, complètement sots à s'occuper de leur pitoyable train-train quotidien virtuel alors que le mal se diffusait sous leurs yeux, elle ne s'y sentirait absolument pas à l'aise. 

Un peu plus loin, un nouveau groupe d'Immigrés ramassait quelques feuilles mortes sur la chaussée, où les conducteurs des voitures semblables à des œufs d'autruche motorisés, qui avaient largement la place de les esquiver sur la large route d'aspect cuivrée, préféraient ouvrir le toit amovible de leur carrosserie pour leur cracher des insultes à la figure. C'était sous ce spectacle affligeant qu'elle se décidait de suivre une idée qui lui trottait dans l'esprit depuis quelques temps déjà, plutôt que de rester une minute de plus dans cette ville de malheur qu'elle avait envie de réduire à feu et à cendre. 

Une station de métro apparaissait au coin d'un grand boulevard, d'où les habitants de Gregville entraient et sortaient comme des fourmis indisciplinées. Lydia possédait quelques sous, obtenus grâce à la vente de plusieurs gros rats qu'elle avait elle même capturés et qui avaient comblé de bonheur l'épicier ridé. Une fois son ticket acheté sur une borne automatique, que le client précédent avait failli déraciner car le temps d'impression était un peu trop long à son goût, Lydia patientait sur le quais d'un blanc éclatant qui lui faisait presque mal aux yeux. 

Peu de temps plus tard, le métro se présenta, recrachait des usagers pressés, puis, dans un soucis de contrôle de flux, un petit voyant vert s'alluma pour inviter les nouveaux passagers à monter à bord. Lydia avait l'impression de pénétrer dans une gélule géante en lévitation. En effet, le métro avait l'aspect d'une capsule blanche flottant légèrement au dessus de ses rails magnétiques. Elle prenait place entre deux Citoyens trop absorbés par de quelconques conversations dans leurs oreillettes pour lui prêter la moindre attention. Le démarrage très rapide du métro était impressionnant. Il filait à toute allure dans les souterrains de Gregville, laissant une traînée électrique bleuâtre sur les rails derrière lui. À chaque arrêt, brusque et presque instantané, une voix désincarnée s'échappait des haut-parleurs, annonçant le nom de la station en terminant par "Germania vor !", le célèbre cri de guerre de Germania.

Une fois au terminus ("portes de Gregville, Germania vor !"), Lydia remontait avec soulagement à l'air libre, quittant Gregville via les gigantesques portes par lesquelles elle était entrée environ une semaine plus tôt. Ce n'était plus les mêmes vigiles qui gardaient l'entrée, ceux-là ne firent pas du tout attention à elle.

La ville entourée de ses énormes murs s'éloignait de plus en plus tandis qu'elle entamait une très longue marche vers la forêt, sur l'unique route bordée de prairies abandonnées. En ce début de soirée, la circulation était plus importante que la dernière fois, mais demeurait faible. Seuls quelques camions s'aventuraient sur la chaussée plutôt étroite, assurant probablement des livraisons entre Gregville et d'autres villes germaniennes.

La lisière des bois apparaissait au loin. S'enfonçant entre les arbres, Lydia marchait d'un pas déterminé et sûr de son chemin. La forêt était belle, calme, paisible, formant un havre de paix naturel qui réchauffait son cœur ayant subit trop d'ascenseurs émotionnels à Gregville. Elle prenait son temps, s'arrêtant pour cueillir des fraises sauvages, qu'elle parvenait à repérer sans difficulté malgré la nuit tombante. Décidant de faire une pause, elle s'appuyait contre un vieux chêne, se laissant glisser sur la terre moelleuse en s'adossant contre le tronc. Elle mangeait un à un les fruits sucrés qu'elle venait de cueillir, sans les apprécier car il ne s'agissait pas là d'un bon gigot, cependant, elle n'avait rien de mieux sous la main et devait s'en contenter. Elle mastiquait lentement, observant les feuilles mortes qui jonchaient le sol terreux. Ses pieds étaient douloureux, les chaussures de Zay n'étant pas adaptées aux longues marches. 

Après son maigre repas, Lydia fermait un instant les yeux, la tête posée contre le tronc du chêne. Un vent glacé lui balayait le visage, tapissant sa peau peu couverte d'une chair de poule prononcée. L'hiver approchant serait probablement rude. Aimait-elle l'automne dans sa précédente vie ? Appréciait-elle le silence des bois ? Quel genre de femme était-elle ? Elle désirait intensément avoir la réponse à toutes ces questions, craignant cependant plus que tout au monde la connaître. L'ignorance avait du bon. Elle lui procurait un confort émotionnel, bien qu'elle en ressentait également une brûlante frustration.

Secouant la tête pour chasser cette succession de sentiments contradictoires qui l'envahissaient, Lydia se relevait péniblement. Un long chemin l'attendait encore, elle devait se dépêcher avant que la nuit ne devienne trop fraîche.

Lorsque l'obscurité fut totale, Lydia était à bout de force. Ses pieds la faisaient beaucoup trop souffrir. Elle savait qu'elle était très proche de son objectif mais cette dernière centaine de mètres s'avérait extrêmement difficile. Elle enleva ses chaussures pour les porter à la main, espérant ainsi soulager ses pieds enflés et en sang. Elle grimaçait de douleur, ramassant un long bâton pour s'appuyer dessus afin de boitiller lentement vers l'immense manoir qui commençait à se dessiner. Pierres brutes grisées par la nuit profonde, des dizaines de fenêtres, une grande porte d'entrée en forme d'arche, la bâtisse au cœur des bois était grande, gargantuesque, silencieuse.

Le cœur de Lydia cognait fort dans sa cage thoracique. Elle devait être complètement folle. Elle n'avait encore ni d'argent, ni son propre nom. Pourquoi n'avait-elle juste pas fui au loin ? Très loin. Pourquoi tous les avertissements de Zay et Hug ne lui avaient-ils pas fait peur ? Elle se sentait comme un agneau entrant dans la grotte du loup. Un agneau masochiste. Elle ne savait pas pourquoi elle revenait ici mais savait qu'elle devait revenir. Tout comme lui aussi le savait. C'était une évidence.

Il l'attendait. Appuyé nonchalamment contre la porte d'entrée du manoir titanesque, Mr. C levait lentement la tête vers la jeune femme qui avançait courageusement. Malgré la douleur, elle gardait le front levé, les yeux campés fièrement dans ceux de son acheteur. Il sembla un instant troublé par son regard et sa détermination.

Lorsqu'elle fut enfin près de lui, il la dévisagea sans expression. Tandis que ses yeux descendaient sur les pieds ensanglantés de la jeune femme, son visage se ferma entièrement. Il semblait énervé. Sans un mot, il souleva Lydia dans ses bras pour l'emmener à l'intérieur du manoir.

La porte se referma bruyamment derrière eux.

LUTÈCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant