Moscowia, neuf ans plus tôt, prairies sauvages
Un casque de moto sous le bras, Caelan et Lydia adolescents, vêtus de la même combinaison de motard, grimpaient des collines désertes par une belle journée ensoleillée. Il n'y avait aucune civilisation aux alentours, simplement le chant des oiseaux et le gazon sauvage parsemé de fleurs aux senteurs printanière. Ces myriades de couleurs les accompagnaient à chacun de leur pas, emplissant leur cœur de joie et légèreté.
Fatigué, Caelan se laissait tomber sur l'herbe, s'y allongeant paresseusement. Ses yeux bleu électrique fixaient gaiement le ciel dégagé de la même teinte, comme s'il n'était que le reflet de son regard. Lydia, toujours debout, le poussait du pied.
— Monsieur le Futur Roi de Moscowia est déjà fatigué ? le charriait-elle.
Il feignait de l'ignorer, continuant de ne regarder que le ciel en sifflotant. Quand elle ne s'y attendait pas, il se redressa et saisit brusquement son poignet en la tirant vers lui pour qu'elle perde l'équilibre. Elle ne le perdit pas. À la place, presque instinctivement, elle le plaqua au sol, l'immobilisant complètement de tout son poids.
Il soufflait fort, surpris, tentant de se dégager de son emprise. Il riait, essayait de la chatouiller, en vain. Lydia ne le laissait pas bouger d'un pouce. C'était la première fois qu'ils étaient aussi proches... La jeune Lydia pouvait sentir battre son cœur et respirer son souffle tiède délicatement parfumé du thé à la menthe qu'il avait bu ce matin. Leurs yeux, d'une proximité inhabituelle, se croisaient farouchement. Le cerveau de Lydia travaillait à mille à l'heure et une armée d'émotions contradictoires l'envahissait peu à peu. "Non, il n'est pas une proie", pensait-elle. "Ces foutues pensées recommencent...". Sa bouche était si proche de sa peau... "Mais ça va pas ! Jamais je ne lui ferais de mal...".
Les yeux bleus de Caelan campés dans les siens étaient d'abord doux, puis se firent inquiets.
— Euh... Lydia ? dit-il. Tes pupilles sont bizarres...
Elle secouait la tête, chassant ses mauvaises pensées. Se redressant, elle coupait volontairement cette proximité avec Caelan. Il se redressa également, posant une main maladroite sur une de ses épaules.
— Lydia ? Je suis désolé... Je ne pensais pas que ça te mettrait aussi mal à l'aise d'être proche de moi... Enfin, physiquement je veux dire...
Lydia tournait la tête vers lui, ses infâmes pulsions enfin évanouies, elle retrouvait son air naturel. Elle ne savait pas si elle devait lui dire la vérité. Après tout, cela la tracassait depuis un moment et elle ne voulait pas qu'il pense qu'elle le fuyait. C'était déjà la troisième fois qu'elle coupait un rapprochement à cause de cette chose. Et puis... s'ils allaient se marier d'ici quelques années, elle pouvait tout lui confier.
— Tu sais Caelan, il y a quelque chose que je voudrais te dire... En fait... balbutiait-elle en cherchant les mots exacts, je suis malade.
Il paraissait surpris.
— Malade, comment ça ?
— Tu sais, ces germaniens qui sont déjà passés plusieurs fois au palais pour me voir...
— Oui ?
— Ils m'apportent mon traitement. C'est un sérum que je dois boire pour ne pas... Enfin, je ne sais plus exactement pourquoi, j'ai l'impression que je le savais avant mais... je ne sais plus, je sais juste que je dois le boire depuis que je suis petite. Il fait effet quelques mois et quand on arrive au bout de ces quelques mois et bien... Je commence à... avoir envie de faire... du mal. Et après, je bois de nouveau le sérum et puis tout va mieux.
Il écarquillait les yeux, sa main tombait de l'épaule de Lydia. Un voile sombre recouvrait son visage.
— Tu ne me l'as pas dit avant parce que tu pensais que j'allais avoir peur ?
Ce n'était pas la réaction à laquelle Lydia s'attendait. Elle pensait qu'il allait la fuir. Elle hochait la tête en le regardant discrètement, il sembla triste un instant, avant de se reprendre.
— Eh bien tu vois bien que ce n'est pas le cas, dit-il d'une voix faussement neutre. À l'avenir, fais-moi confiance, d'accord ?
Lydia était étonnée. Elle lui avait avoué qu'il lui arrivait de vouloir faire du mal et il s'inquiétait uniquement du fait qu'elle n'ait pas été tout à fait honnête avec lui. Enfin, du moins, qu'elle lui ait caché ses problèmes.
Il semblait hésiter un moment avant de prendre sa main, avec une délicatesse que Lydia n'avait jamais connu dans sa vie. Lutèce n'était que dureté, elle ne voyait jamais sa mère Jayna et les rares fois qu'elle la voyait, la première princesse de Germania se montrait insipide et n'enlevait jamais son masque de porcelaine, ce qui creusait un fossé titanesque entre elles.
Lydia était seule. Si seule. Les servants qui s'occupaient d'elle à Lutèce semblaient toujours avoir peur lorsqu'ils la voyaient, pourtant, elle leur souriait toujours et leur parlait avec gentillesse. Ici, à Moscowia, loin de son ancienne vie, Caelan était le premier à rompre cette solitude, à faire tomber cette barrière qui la coupait du reste du monde. Le premier qu'elle aimait, sans pour autant jamais le dire à haute voix.
Le jeune héritier semblait chercher ses mots avant de reprendre la parole.
— Lydia... ? Est-ce que... tu as envie de me faire du mal ?
Elle baissait les yeux. Elle ne voulait plus mentir. Elle aspirait le plus d'air possible dans ses poumons, jusqu'à ce qu'ils lui semblent devenir deux gros ballons de baudruche avant de répondre.
— Des fois.
C'était dit, elle ne pouvait plus revenir en arrière. Elle expirait bruyamment, souhaitant de tout cœur que cet horrible aveu ne gâcherait pas leur relation. Caelan et sa sœur étaient ce qu'elle avait de plus cher au monde, elle ne voulait jamais qu'ils lui tournent le dos ou la considèrent comme un danger...
Ne semblant pas impressionné outre mesure, Caelan se frottait sa chevelure brune.
— Et c'est ce que tu veux vraiment... ?
— Non ! Je... je m'en veux terriblement après tu sais... Je... je ne sais pas ce qui cloche avec moi ! Mais... c'est pour ça que je ne m'approche jamais... trop... Tu vois ?
Voilà qu'elle rougissait.
Lui, étrangement, riait aux éclats.
— Je te dis que j'ai parfois envie de te faire du mal et toi tu rigoles !
— Oui ! Je suis soulagé Lydia si tu savais... ! Je pensais que tu ne m'aimais vraiment pas.
— Je... Pourquoi toi tu...
— Quand on m'a dit que j'allais me marier avec une inconnue, j'étais vraiment énervé. Mais maintenant... Enfin, disons que mon avis a changé. Un peu...
Dans le silence des collines, sous le ciel d'un bleu éclatant que rien ne ternissait, une douce brise tiède balayait l'herbe verte et tendre, faisait chanter les feuilles des arbres, secouant les branches en une lente valse éternelle. Douce mélodie printanière, accompagnée des percussions rythmées du cœur de Lydia, baignée d'insouciance, comme un instant volé aux couleurs de l'arc-en-ciel, au milieu d'une vie teintée de ténèbres.
VOUS LISEZ
LUTÈCE
Science FictionA son réveil, tout est flou, tout est vide. Le monde tremble. Quel est son nom déjà... Ly...Lydia. Quelle est cette scène où elle se trouve ? Où l'on crie son nom, où la lumière est aveuglante, où l'on scande des prix. C'est une vente aux enchères...