« Bonne journée, Allan. À demain. »
Je coupai la communication sans lui laisser le temps d'ajouter quelque chose. Un peu de bonne volonté... et puis quoi encore ? Maintenant que je savais que c'était lui qui avait conseillé à Sophy de m'emmener ici, je n'avais plus la moindre envie de l'écouter. Il était entièrement responsable de mon calvaire, encore plus que Sophy.
Je laissai tomber mon téléphone sur mon lit – un petit bruit d'eau retentit –, avant de m'affaler à mon tour – je crus entendre un torrent d'eau se déverser cette fois et je maudis ma stupidité –. Cette conversation m'avait coupée toute envie de faire quelque chose – non pas que je fusse très motivée auparavant –. Ma propre attitude de flemme me dégoûtait moi-même, mais je ne parvins à trouver la motivation pour la contrer...
***
JOUR 2
Ce ne fut pas non plus mon alarme qui me réveilla ce matin ; ce fut une détestable crampe qui interrompit mon sommeil déjà agité. Je me rappelai instantanément de la séance de danse de la veille sur Sing, Dance and Play just like Idols do ! ; guère surprenant si j'avais des crampes. Je me forçai à inspirer et expirer lentement pour faire passer la douleur et je pus finalement me lever cinq minutes plus tard. Il était presque sept heures, il me restait donc deux heures de tranquillité avant le petit-déjeuner. Je fis rapidement ma toilette puis, après avoir désinfecté mon téléphone, je démarrai mon ordinateur portable pour avancer quelque peu mon projet sur le simulateur de comportement d'une voiture autonome, notamment la partie création 3D du décor dans lequel évoluait le véhicule. Ce temps fort agréable s'écoula malheureusement trop rapidement et il fut l'heure de rejoindre le réfectoire. J'y retrouvai une Sophy tout enjouée qui bavardait déjà gaiement avec Mlle Aswin, et un M. Adelson maussade qui m'adressa froidement la parole :
« Bonjour Mlle Reyhan.
— Bonjour Monsieur.
— Ce matin, nous irons au studio pour le visiter. »
J'approuvai silencieusement puis nous allâmes manger, toujours dans le plus profond mutisme, qui finalement n'était pas là pour me déplaire. Je n'avais pas la moindre idée de ce que je pouvais bien dire à M. Adelson ; je n'avais pas le don naturel de Sophy pour communiquer avec les gens. Et je n'avais pas envie de faire d'efforts non plus.
Une fois le petit-déjeuner terminé, nous nous rendîmes au studio où nous fûmes accueillis par le directeur technique de l'agence. La visite se révéla alors beaucoup plus intéressante que je ne l'aurais pensée, notre guide détaillant davantage les aspects techniques d'un enregistrement plutôt que l'enregistrement en lui-même. Je posai alors plein de questions, désireuse d'en apprendre plus sur ces technologies qui m'étaient fort inconnues et au bout d'un moment, le directeur technique déclara, quelque peu surpris :
« Sans vouloir vous offenser, Mademoiselle, je suis surpris par votre intérêt pour ces détails techniques. J'ai rarement vu une idole aussi curieuse.
— Je ne veux pas être une idole, corrigeai-je avec un certain amusement.
— Ah, tout s'explique ! »
Le directeur technique esquissa un sourire avant de reprendre son explication. Je vis du coin de l'œil M. Adelson me dévisager d'un air mauvais, mais je ne lui prêtai pas attention. La visite du studio était au programme de la matinée et pour une fois que j'avais la possibilité de faire quelque chose d'autre que danser, chanter ou jouer, je n'allais pas m'en priver. M. Adelson ne tarda pas à partir, comme s'il se doutait que je n'avais pas la moindre envie de mettre fin à ma conversation avec le directeur technique, et je pus pleinement me concentrer sur les explications.
Imprévisible, mais ce fut une matinée fort agréable qui s'écoula trop rapidement à mon goût. À contrecœur, je dus prendre congé du directeur technique et je me rendis dans l'habituel restaurant, en espérant que d'autres visites du studio seraient au programme dans les prochains jours.
L'après-midi fut bien moins exaltante ; M. Adelson m'emmena au gymnase de la veille pour y suivre un cours de danse. La simple mention d'un "cours de danse" ruina toute ma bonne humeur – logique, mes parents m'avaient forcée à en suivre pendant toute ma jeunesse alors qu'ils étaient un véritable calvaire pour moi –. Ça ne pourra pas être pire que lorsque tu étais petite, Evy... Telle fut l'unique pensée de réconfort que mon cerveau parvint à formuler : maigre et je ne saurais m'en contenter...
Lorsque nous entrâmes dans la grande salle qui allait nous servir de piste d'entraînement, je remarquai immédiatement l'absence de Sophy et son idole. J'aurais de tout cœur espéré que ma meilleure amie fût là : elle constituait à elle seule les uniques bons souvenirs que je conservais des cours de danse de ma jeunesse. C'était effectivement là où nous nous étions rencontrées pour la première fois : elle avait été la seule personne qui s'était montrée sympathique à mon égard et je lui étais toujours terriblement reconnaissante pour tout ce qu'elle avait fait pour moi... Et nous étions devenues meilleures amies... du moins, c'était ainsi qu'elle nous appelait : je la voyais surtout comme celle que je devais protéger à tout prix, simplement pour m'acquitter de la dette que j'avais envers elle. C'était pourquoi je m'étais promis de ne jamais la laisser faire des folies et ruiner sa vie, en devenant déraisonnablement une petite célébrité qui finirait par sombrer dans l'oubli. Il me semblait déjà que j'avais échoué à tenir cette promesse : je l'avais laissée s'embarquer dans ce voyage, m'emportant en plus avec elle, l'endettant plus que jamais...
« Mlle Reyhan. »
La voix ténébreuse et froide de M. Adelson me ramena instantanément à la réalité et je laissai de côté ma sombre réflexion sur Sophy. Une femme d'un certain âge, aux traits sévères et aux cheveux grisâtres attachés en un chignon serré, se tenait à quelques pas de nous et elle déclara sans la moindre once de sympathie :
« Nous pouvons commencer, Mlle Reyhan. »
Oh, génial... une personne tout aussi chaleureuse que M. Adelson... L'après-midi promettait d'être agréable. Ce fut effectivement un désastre – d'autant plus que le contraste avec la matinée ne pouvait qu'accentuer le calvaire de l'après-midi – et ce cours de danse me rappela grandement ceux que j'avais subis étant petite. La même chose : une professeure acariâtre, pas du tout pédagogue, et moi, peu disposée pour faire des efforts en retour. De toute façon, à chaque fois que je faisais le moindre mouvement, je me prenais une remarque : trop lente, pas assez fluide, trop en avance, trop en retard, trop haut, trop à gauche ou à droite...
Le seul avantage, au moins, fut que M. Adelson ne m'adressa pas la parole de l'après-midi ; ce fut à peine si je le vis. Il s'était installé sur une chaise et avait les yeux rivés sur sa liseuse. De toute façon, je n'avais pas besoin qu'il prenne la parole puisqu'il n'aurait fait que m'adresser d'autres reproches alors que la professeure de danse remplissait déjà parfaitement ce rôle – non pas que j'estimais mériter des compliments pour ma performance ; je savais pertinemment que j'étais nulle en danse, malgré mes dix ans d'entraînement étant petite –.
Lorsque la séance s'acheva, mes crampes de la veille étaient revenues encore plus vives et je fus soulagée de pouvoir enfin rentrer dans mes appartements... Je commençais à douter pouvoir supporter le rythme de ce stage, aussi bien moralement que physiquement...
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Pour deux semaines et un jour
RomanceVingt participants. Vingt idoles. Deux semaines. Le programme « Dans la peau d'une Idole » est lancé, et en quelques secondes, toutes les places sont réservées. Parmi elles, Evy, une ingénieure rationnelle et travailleuse, entraînée de force dans ce...