Pour deux semaines et un jour

Chapitre 20 - Partie 5 - Embrasement

« Voulez-vous visionner le film qu'Alysea vous a confié ? »

J'approuvai et sortis le coffret en satin noir de mon sac à dos avant de le lui tendre. Il l'ouvrit soigneusement, pour révéler un disque emballé avec précaution. Quelques instants s'écoulèrent dans un silence agréable, bien que je fusse toujours embarrassée à l'idée d'avoir manqué mon avion, laissé Sophy rentrer toute seule, simplement parce que je ne voulais pas quitter Elioth. Je n'aurais pas été surprise de rougir à la simple pensée que j'avais refusé de partir juste parce qu'il me manquait déjà... Enfin, il allait bien falloir que je parte un jour... « Demain, me souffla mon esprit. Tu as obtenu un jour de plus... profites-en... »

***

J'avais honte de moi-même... Je relevai alors les yeux vers Elioth et je me rendis compte qu'il me fixait de ses yeux vairons si magnifiques, l'air absent. Un serveur arriva cependant à cet instant pour passer la commande, Elioth se tourna immédiatement vers lui, avant de déclarer en tendant le coffret :

« Deux thés glacés, pour commencer, je vous prierai. Et pourriez-vous mettre ce film s'il-vous-plaît ? »

Le serveur acquiesça et s'éloigna avec le coffret, tandis que je remarquais :

« Deux thés glacés ?

— Oui, j'ai cru comprendre que vous affectionniez cette boisson. Me serais-je trompé ?

— Non, effectivement, réfutai-je. Mais vous n'en prenez pas d'habitude, si je me souviens bien.

— C'est vrai : mais il faut bien un début à tout. »

Elioth esquissa un léger sourire bref, si bien que je crus l'avoir imaginé. Je n'eus le temps de m'attarder plus longtemps sur ce détail car le grand écran situé à quelques mètres de nous s'alluma et le logo d'Idolaland, à savoir l'étoile pailletée violette et noire entourée de cinq autres plus petites, apparut en son centre. Une mélodie bien familière retentit alors – celle qu'Elioth, Alysea et Veronica avaient composée pour accompagner ma chanson – et le générique d'introduction commença.

Dans la peau d'une Idole. Vingt participants, vingt idoles. Deux semaines. Le récit d'un stage. Evyna Reyhan & Elioth Adelson.

Tel un vrai film, les noms de toutes les idoles puis ceux des autres stagiaires apparurent un à un, une image d'eux jointe à chaque fois. À l'issue du générique, le serveur nous apporta les deux thés glacés, un écran noir se fit puis le chiffre treize apparut en grand au milieu. Puis commença véritablement le cœur du film avec la représentation d'Éclair, le premier soir. Je souris en revoyant pour la seconde fois ce souvenir impérissable : ma perception de ce moment avait bel et bien évolué... Je me rappelais encore l'enthousiasme de Sophy vis-à-vis du spectacle tandis que j'étais persuadée avoir été terriblement médiocre... Je m'étais décidément trompée sur toute la ligne concernant ce stage... heureusement j'avais fini par en comprendre conscience, certes un peu tard... Trop tard même...

La nostalgie m'envahit presque face à ces pensées mais je les chassai rapidement : j'avais devant moi encore quelques heures sur Idolaland... je devais en profiter au maximum au lieu de ruminer le passé.

Je me concentrai alors sur la suite du film qui retraça les journées les unes après les autres, les séquences étant toujours agencées de façon à ne présenter que les instants où je semblais heureuse – cela avait dû demander beaucoup de travail aux idoles, étant donné le peu d'enthousiasme que j'avais manifesté... –. Arriva enfin le jour de notre évasion de la grotte et, sans grande surprise, tous ces événements furent passés sous silence... Pourtant, c'étaient ceux que je conserverais à tout jamais dans leur intégralité... Certes, je ne pourrais pas non plus oublier les autres avec ma mémoire eidétique mais les derniers jours du stage avaient sans aucun doute été les plus marquants... À y réfléchir, j'étais presque contente qu'ils aient eu lieu malgré leur aspect terrifiant... Sans ces moments, je ne me serais sûrement jamais débarrassée de tous les préjugés que j'avais nourris à l'égard d'Elioth...

Le film s'acheva sur Illusion, la version que j'avais chantée en guise de concert le pénultième jour accompagnée d'Elioth au piano, et mon sourire s'agrandit davantage... C'était à peine si je me reconnaissais en cette personne qui chantait avec brio et assurance sur scène... Je devais me rendre à l'évidence : je n'étais plus la même qu'auparavant... Elioth, Sophy, Alysea et Veronica avaient entièrement transformé ma vie au cours de ces deux dernières semaines.

Lorsque le film se termina, notre dîner était déjà fini depuis dix minutes, et quelques instants s'écoulèrent jusqu'à ce qu'Elioth demande :

« Alors, qu'avez-vous pensé de cette petite rétrospective ?

— Elle est très bien ; je suis heureuse de pouvoir la conserver. Non pas que je pense avoir besoin un jour de ce film pour me remettre en mémoire tous ces souvenirs... »

Ils étaient inoubliables, nul doute.

« Merci pour l'avoir réalisée.

— C'est surtout Alysea qu'il faudrait remercier, répliqua Elioth. C'est son idée et elle a réalisé une grande partie du montage.

— Je n'y manquerai pas.

— C'est sûr que vous avez le temps avec une journée supplémentaire, » commenta Elioth avec un sourire en coin.

Ces paroles me mirent immédiatement mal-à-l'aise et Elioth se rendit rapidement compte de mon embarras car il ajouta avec un léger sourire :

« Je vous charrie, Evyna. Ne vous inquiétez pas, personne ne vous reprochera d'être restée un peu plus longtemps. Nous sommes tous nostalgiques de ces deux semaines et je suis le seul chanceux qui peut profiter de quelques instants supplémentaires avec sa stagiaire. »

Sans me laisser le temps de répondre – de toute façon, j'étais un peu trop confuse pour répliquer quelque chose de sensé –, Elioth se leva et, tout en ôtant ses gants noirs pour les ranger dans la poche de sa veste, il déclara :

« Nous ferions mieux de rentrer à l'agence, à présent. Il commence à se faire tard, et j'ai cru comprendre au cours de ces deux semaines que vous appréciez rentrer tôt. »

Sa perspicacité était définitivement déconcertante et je ne savais pas comment l'interpréter : m'espionnait-il parce qu'Alysea leur avait demandé de procéder ainsi avec tous les stagiaires pour trouver les meilleures activités pour eux, ou était-ce simplement parce qu'il s'intéressait à moi ? Ne rêve pas trop non plus, Evy, et n'oublie pas qui il est. Il est LE meilleur chanteur, LE meilleur acteur, LE meilleur danseur, bref LE meilleur artiste, de nos jours... et ce n'est pas pour rien ; en plus d'être incroyablement talentueux, il sait séduire son public. Je fis taire cette voix désagréable qui possédait pourtant un fond de vérité, si ce n'était même plus.

« Evyna ? »