Pour deux semaines et un jour

Chapitre 18 - Partie 2 - Concerts

Il avait esquissé un léger sourire railleur, mais je le remarquai à peine : je me contentai d'approuver silencieusement, anxieuse à l'idée de chanter dès maintenant, et Elioth commença à jouer la musique, calme et légèrement nostalgique. Je me sentis presque transportée le jour même où je l'avais chantée, les paroles me vinrent de façon quasi naturelle, et je les entonnai, avec une certaine hésitation cependant... Je m'attendais à me faire interrompre par Elioth en plein milieu de la chanson, mais ce ne fut qu'à son terme qu'il s'enquit :

« Evyna, pourquoi bridez-vous votre voix ? »

***

La question d'Elioth me prit totalement au dépourvu et j'eus un mouvement de recul.

« Je... Alysea m'a fait la même remarque... Je... J'imagine que c'est parce que... »

Je ne savais pas vraiment quoi dire... Je savais que je chantais faux, on me l'avait toujours affirmé, alors pourquoi Alysea et lui s'acharnaient-ils à vouloir que je chante plus fort ?

« Ne vous inquiétez pas, Evyna, reprit Elioth avec un sourire espiègle, voyant que je ne me décidais pas à répondre. J'ai pris une solide assurance pour les carreaux de mes appartements. »

Je me surpris à sourire face à sa remarque et il enchaîna plus sérieusement :

« Non, sincèrement, vous ne chantez pas faux, retirez-vous cette pensée de l'esprit. Écoutez-vous sur cette chanson : vous avez laissé libre cours à votre voix sans vous juger et il n'y a pas la moindre fausse note, bien au contraire ! Alors cessez de vous réprimer et ayez confiance en vous ; il n'y a aucune raison pour vous ne l'ayez pas. »

Son expression était étonnamment bienveillante et j'avais presque envie de le croire. Pourtant, les souvenirs datant de quelques jours plus tôt – et plus précisément de cet horrible cours de chant – étaient encore présents dans ma mémoire... Je me rappelais très bien tous les reproches que m'avait adressés l'odieux professeur de chant... et ainsi que les quelques qu'Elioth avait formulés... De toute évidence, je ne pouvais pas les avoir tous corrigés en seulement quelques jours.

« Pourtant... commençai-je, avant de me faire couper.

— Oui, je sais, je me suis montré détestable à votre égard. Je vous ai critiquée gratuitement et sans la moindre raison... Je vous présente mes excuses. »

J'eus un mouvement de recul, dû à la surprise, face à ces paroles, d'autant plus qu'il avait l'air sincèrement désolé. Son regard me fuyait, et je me sentis encore plus mal-à-l'aise...

« J'ai été tout aussi détestable de mon côté également... répliquai-je.

— Assez, coupa Elioth en relevant les yeux vers moi. Nous sommes partis sur de très mauvaises bases, nous en conviendrons tous les deux, alors cessons d'en parler. Je vous affirme sincèrement que vous chantez bien, alors ne vous auto-condamnez plus. Recommençons, le voulez-vous bien ? »

J'approuvai d'un geste de la tête, cependant toujours troublée par la situation... Un peu hésitante au début – ce n'était quand même pas tous les jours que l'une des plus grandes idoles nous incitait à chanter et nous jugeait en même temps –, je finis cependant par gagner un peu en assurance. Elioth se montra encourageant, il m'adressa ses compliments, tout en me donnant des conseils pour progresser davantage ; je devais avouer que c'était la première leçon de chant qui me plaisait autant – même si ce n'était pas vraiment un cours à proprement parler –.

Je ne vis même pas le temps passer, Elioth non plus d'ailleurs il me sembla, puisqu'il était déjà quatorze heures passées lorsqu'il déclara :

« Il serait peut-être temps d'aller manger... Quelle heure est-il ? Ah... oui, il est plus tard que je ne le pensais. Veuillez m'excuser de vous avoir retenue autant, Evyna.

— Je n'ai pas non plus vu le temps passer, » admis-je, en souriant.

Elioth resta un instant silencieux, m'observant avec un demi-sourire énigmatique, puis il finit par se lever et annoncer :

« Au moins, le déjeuner sera tranquille. »

Comprenant aisément qu'il faisait référence à Bella, j'approuvai ses paroles et nous quittâmes son studio personnel. Le repas se déroula effectivement dans la plus grande tranquillité, personne d'autre n'étant présent.

Nous retournâmes ensuite à son studio et nous poursuivîmes la préparation du spectacle de ce soir. Après quelques entraînements, Elioth finit par s'enquérir :

« Avez-vous réfléchi à votre tenue pour ce soir ? »

Inutile de préciser que non. Je me surpris presque à regretter de ne pas avoir céder à la pression de Sophy le troisième jour et de ne pas avoir acheté la robe qu'elle voulait impérativement que je prenne. Au moins, la question aurait été réglée – même si je n'aimais pas vraiment cette robe –... mais là... j'avais simplement mes vêtements habituels, normaux, sans artifices, qui me convenaient très bien. Mais qui ne feraient sûrement pas l'affaire pour donner un concert en public...

« Votre absence de réponse me laisse suggérer que non, reprit Elioth, tout en sortant son téléphone. J'appelle Alysea pour qu'elle vienne vous aider à trouver votre tenue : elle sera de meilleur conseil que moi.

— Non, ce n'est pas la peine de la déranger juste pour cela, » répliquai-je.

Mais Elioth avait déjà porté son téléphone à son oreille et lancé l'appel. Je l'entendis alors dire, totalement impuissante :

« Salut patronne... Oui, je sais, tu ne veux pas que je t'appelle comme ça, c'est bon... Bref, je t'appelle pour te demander si tu as une petite heure de libre pour faire du shopping... Non, Alysea, je ne veux pas faire du shopping avec toi. C'est pour Evyna : il lui faut une tenue pour ce soir et tu la conseilleras très bien... Ok, parfait, ça me va... Oui, je lui transmets. À ce soir, patronne... Non, je ne m'en lasserai pas, courage ! »

Elioth raccrocha avant de déclarer :

« Elle sera là dans cinq minutes tout au plus pour vous conseiller.

— Je ne veux pas la déranger : elle a sûrement des choses bien plus importantes à faire que de s'occuper de la tenue que je vais porter ce soir...

— Ne vous inquiétez pas, Alysea est ravie à l'idée seule d'aller faire du shopping. Et un petit moment de détente dans sa journée ne lui fera pas de mal. »

Voir Elioth me parler aussi familièrement de la nouvelle présidente d'Horizon & Paradise m'étonnait, d'autant plus qu'il était toujours très respectueux et distant en temps normal. À cet instant, quelqu'un frappa à la porte, Elioth l'invita à entrer et Alysea apparut sur le pas de la porte, plus enjouée qu'à l'accoutumée, même si elle tentait de réprimer sa bonne humeur.

« Tu as fait vite, patronne. Je me demande pourquoi...

— Je suis simplement désireuse d'aider mes stagiaires ! répliqua Alysea avec un enthousiasme qu'elle peinait à cacher. Voulez-vous bien venir, Evyna ?

— Je ne veux pas vous déranger inutilement, Alysea...

— Ne vous inquiétez pas, c'est un plaisir, au contraire ! »

J'avais en effet cru le remarquer... Mais je ne comprenais toujours pas pourquoi... Je me résignai alors à rejoindre la diva frénétique qui annonça à l'intention d'Elioth :

« N'oublie pas qu'il reste encore toute l'étagère de droite à trier en plus de ce qui est sur le bureau.

— Je sais, Alysea. Profite de ta pause. »