Chapitre 7 - Partie 1 - Havre

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— C'en est assez, l'interrompit-il sèchement. Arrête de te comporter comme une fillette tout en me donnant des leçons, c'est insupportable. Tu m'as trop énervé pour que je puisse mener une réflexion intelligente ce soir ; j'y réfléchirai peut-être demain, si tu acceptes que je consacre moins de temps à ma stagiaire. »

Alysea baissa les yeux, ne répliquant rien, mais Elioth n'eut pas la moindre once de pitié pour elle. Il se contenta de quitter ses appartements en silence, laissant l'idole seule avec son désespoir. Incapable de contenir davantage ses émotions, Alysea se laissa retomber en arrière sur son lit, des larmes retombant sur sa couverture en fourrure, laissant au passage des traces noires dues à son maquillage sur ses joues talquées...

***

JOUR 4

« Bonjour Evyna. »

Je faillis m'étouffer avec mon thé glacé en reconnaissant la voix ténébreuse de M. Adelson et je me retournai immédiatement vers lui après avoir reposé mon verre. L'idole se tenait debout à quelques pas de moi, les bras croisés, son habituel regard inexpressif figé sur moi : finalement, seule sa façon de me saluer avait changé et je compris aisément que c'était dû à Alysea. En revanche, je répondis, ne sachant pas vraiment si je devais également opter pour le changement :

« Bonjour Monsieur.

— Appelez-moi Elioth, je vous prie. »

Il s'était fait violence pour prononcer cette dernière phrase ; nul doute ne subsistait, Alysea lui avait demandé de se montrer moins distant avec moi. Pourtant, cette distance courtoise et tout à fait naturelle n'était pas pour me déplaire... Heureusement, il avait conservé le vouvoiement et n'avait pas adopté le même comportement trop amical de Sophy et Veronica. Pressentant qu'il attendait une réponse de ma part, je déclarai simplement en hochant la tête :

« Très bien. »

Un silence particulièrement tendu s'installa entre nous deux et il reprit en énonçant le planning de la journée :

« Ce matin, une leçon de chant au studio est au programme. Cette après-midi, vous avez quartier libre pour explorer la ville. »

Cette perspective me mit immédiatement de bonne humeur : une après-midi toute seule, quel bonheur ! Je me repris instantanément ; mes bonnes résolutions de la veille ne devaient pas partir en lambeaux dès maintenant. Rester impassible, manifester de l'intérêt – du moins feint – pour l'activité de ce matin, avant de se réjouir discrètement sur la tranquillité de l'après-midi.

Sans en ajouter davantage, Elioth me fit signe de le suivre et nous nous rendîmes au studio dans l'habituel silence pesant – ce calme contrastait particulièrement avec l'excitation de la veille –.

Ce fut sans aucun doute la pire matinée que j'eusse jamais vécue – à croire que ce stage allait battre tous les funestes records – et je dus plusieurs fois me faire violence pour ne pas quitter le studio. Le professeur de chant, un homme d'une cinquante d'année à l'apparence particulièrement négligée, totalement mal luné, se montra terriblement odieux, cassant et désagréable à mon égard pendant les trois heures du cours. Il fallait aussi avouer qu'au bout d'une demi-heure de critiques injustifiées, j'avais fini par me défendre et être tout aussi insolente, ce qui n'avait bien entendu pas amélioré les choses. Mais d'un autre côté, il ne méritait pas mieux. Quant à Elioth, il était resté la plupart du temps silencieux, les yeux rivés sur sa liseuse, sans se préoccuper le moins du monde de moi. Certes, je n'aurais pas dû me sentir offusquée par une telle négligence puisque je détestais chaque phrase qu'il prononçait ; mais son inaction – voire presque l'air mi-réjoui, mi-sournois qu'il affichait à chaque fois que je me faisais reprendre par l'autre sénile – m'avait insupportée plus que tout. Et cerise sur le gâteau, les quelques fois où il avait parlé, cela avait été pour me faire une critique – sûrement trouvait-il que je n'en recevais pas assez de la part de l'autre dégénéré –.

Bref, une matinée horrible que j'aurais voulu de tout mon cœur oublier. Mais malheureusement, ma mémoire eidétique ne me le permettait guère...

Je fus cependant soulagée à la perspective de pouvoir passer une après-midi sans avoir à supporter Elioth, et je décidai de visiter la ville, sachant pertinemment que je n'arriverais pas à travailler convenablement avec un tel état d'énervement.

Je me rendis dans la partie que je n'avais pas explorée la veille, à savoir l'arrière du centre-ville, zone beaucoup plus naturelle, regorgeant d'espaces verts. Et là, j'y découvris un endroit presque féérique, si merveilleux : Horizon Park. Un jardin immense, soigneusement entretenu, aux allées en petits cailloux blancs, bordées de cerisiers qui en cette période étaient en fleurs, ce qui leur conféraient un feuillage rosé absolument magnifique. L'air était frais, mais doux, un léger vent soufflait sur mon visage, et surtout, le parc était calme, si bien qu'on pouvait entendre en prêtant l'oreille les gazouillements mélodieux des petits oiseaux. C'était un havre de paix, tout simplement...

Toute ma frustration et colère de la matinée semblait s'être volatilisée en un instant... Je m'installai sur un banc, situé au pied d'un grand cerisier, à quelques pas d'un petit cours d'eau dans lequel je pouvais voir quelques poissons nager tant l'eau était claire. Comment avais-je pu passer à côté de cet endroit au cours des premiers jours ?! J'avais presque l'impression que ce séjour allait s'accélérer considérablement, devenir supportable, uniquement grâce à ce lieu quasiment magique.

Je sortis alors mon téléphone portable de mon sac – à la réflexion, j'aurais sûrement mieux fait de m'en abstenir de profiter du calme du jardin –, et je vis alors que j'avais reçu un mail de M. Blairs. Que me voulait-il encore ? Je poussai un soupir, avant de finalement ouvrir ma boîte mail – de toute façon, ça m'aurait trotté dans l'esprit toute journée alors autant le faire dès maintenant –, et je poussai un cri de stupeur en lisant l'objet du message : "J'ignorais que mes employés avaient des talents cachés.". Qu'allait-il donc encore me tomber sur la figure ?

Pour deux semaines et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant