Ses paroles me prirent vraiment au dépourvu : lui, l'une des plus grandes idoles de tous les temps, était en train de me dire que nous étions presque pareils ?!
« Merci... » bafouillai-je minablement.
Un long silence s'installa entre nous jusqu'à ce qu'Elioth ne décide de le briser :
« Corrigez-moi si je me trompe, mais il me semble que, malgré votre formation scientifique, vous avez suivi des cours artistiques. Ai-je tort ? »
***
J'hésitai un instant, peu envieuse de me remémorer tous ces souvenirs que je n'appréciais guère, avant d'avouer :
« Effectivement, mes parents nous ont inscrits, mon frère et moi, pendant dix ans à des cours de danse.
— Vous avez un frère ? me coupa Elioth avec une précipitation quelque peu étonnante.
— Euh... oui : un grand frère, Allan. Il est vendeur à domicile, ce qui lui permet de rester à la maison pour s'occuper de sa fille, Anissa.
— D'accord... »
Le regard d'Elioth était évasif et je ne savais comment véritablement l'interpréter : de la surprise semblait y être présente, ou peut-être du soulagement... Mais ces émotions disparurent rapidement car l'idole reprit :
« Vous avez donc suivi dix années de danse : pourquoi avoir prétendu le contraire les premiers jours ?
— J'ai peut-être suivi des cours, mais je suis toujours aussi nulle qu'avant, répliquai-je, avant d'enchaîner sans laisser le temps à Elioth de répondre : Ces cours de danse ne m'ont pas du tout plu et j'y allais très réticente. Désolée... rajoutai-je.
— Nous n'avons pas tous la chance d'avoir de bons professeurs qui savent nous donner le goût pour leur art, répliqua simplement Elioth avec bienveillance. Pourquoi ne pas avoir arrêté si cela vous déplaisait autant ?
— Mes parents s'y sont toujours fermement opposés. Ils... voulaient impérativement qu'Allan et moi nous lancions dans une carrière artistique, à leur instar. Mais j'aimais les sciences et l'informatique plus que tout le reste.
— Vos parents étaient artistes ? »
J'approuvai d'un geste de la tête, ne sachant pas si je serais capable de tout lui révéler. Ces souvenirs me meurtrissaient terriblement et je ne voulais en aucun cas que toute la peine que j'avais refoulée pendant tant d'années ressurgisse maintenant... Pourtant, je m'entendis répondre :
« Oui, Rachelle et Aurelien Reyhan étaient chanteurs dans un petit opéra peu connu. Comme beaucoup, ils aspiraient à devenir des artistes à renommée internationale et vivaient continuellement dans un univers chimérique. Ils ne cessaient d'avoir recours à des crédits pour satisfaire leurs moindres désirs frivoles, y compris pour nous offrir des cours de danse à Allan et moi. Jusqu'au jour où la banque a dit non. Et nous nous sommes retrouvés dans la rue : j'avais quinze ans, mon frère dix-neuf. Je venais d'obtenir mon diplôme du baccalauréat et j'ai eu la chance de recevoir une bourse d'études pour poursuivre ma voie scientifique, en étant logée sur place. Mon frère, quant à lui, a rencontré sa future épouse, Bella Hantial, qui à l'époque commençait tout juste à se faire connaître. Bella nous a sauvés, Allan et moi, aussi dur que ce soit pour nous deux de l'admettre à présent. Elle nous a offert un petit appartement pour tous les quatre, mais mes parents étaient trop fous et imbus d'eux-mêmes pour accepter l'aide d'une petite actrice encore inconnue et ils se sont suicidés. Mes études ont constitué la seule chose qui m'a sauvée et empêchée de sombrer dans la dépression : j'ai continué de travailler avec acharnement, me promettant un jour de tout redonner à Bella ce qu'elle nous avait offert. Puis, Allan et Bella se sont mariés, un an est passé, ma nièce est née, Bella a commencé à devenir vraiment célèbre, et quelques années plus tard, Bella était devenue méconnaissable, tant sa gloire l'avait rendue odieuse et provocatrice. Allan et elle ont divorcé, Allan a hérité de la garde de sa fille qui avait seulement quatre ans, Bella n'en voulant pas le moins du monde, elle nous a repris la maison. Je venais de recevoir mon diplôme d'ingénieure et mon premier travail, j'avais tout juste assez d'argent pour nous louer un studio et Allan est devenu vendeur à domicile, organisant des salons de vente pour la société de vêtements pour enfants Petit Kawaii. Puis tout a fini par rentrer dans l'ordre... »
Ma voix se brisa brusquement ; pourquoi lui avais-je confié cela ? Je m'étais toujours promis de ne rien révéler à quiconque... Pourquoi en avais-je fait part à Elioth alors que je ne le connaissais même pas ? À croire que j'avais commis la même erreur que Sophy... Pourtant, Elioth répondit sur un ton compatissant que je n'avais encore jamais entendu chez lui :
« Je suis désolé pour vous, Evyna. Merci, de m'avoir confié votre enfance, malgré toutes les souffrances que cela a dû raviver chez vous. Je comprends à présent votre dégoût et défiance pour le monde de l'art...
— Veuillez m'excuser... » soufflai-je.
Je voulus me relever pour partir, mais Elioth semblait avoir prévu mes mouvements car il passa un bras autour de ma taille avant de m'attirer doucement contre lui. Je sentis mon pouls s'accélérer en même temps que les larmes me montaient aux yeux et il me souffla avec une tendresse étonnante :
« Vous n'avez pas à faire face à ces épreuves toute seule, Evyna. Si je peux vous aider d'une quelconque manière, dites-le-moi. »
Je voulus répondre un merci comme la politesse le requérait mais seul un murmure étouffé retentit, tant ma gorge était serrée. Quelques minutes s'écoulèrent ainsi dans un silence finalement apaisant, mais cet instant de tranquillité fut trop bref car je vis arriver en notre direction la personne que je désirais le moins voir au monde : Bella Hantial. Je me défis immédiatement de l'étreinte d'Elioth, un mélange de rage et affliction m'envahit et l'actrice s'exclama, en se précipitant vers Elioth tout en m'ignorant superbement :
« Oh, mon cher Elioth ! Je vous ai cherché toute la journée d'hier et toute la matinée, mais heureusement, vous êtes sain et sauf, j'ai eu si peur pour vous. Vous avez été tellement courageux, un vrai gentleman ! Oser vous rendre dans le refuge de vos ennemis pour y secourir les stagiaires ! Si seulement tous les hommes pouvaient être comme vous ! L'humanité connaîtrait son apogée. »
Elle se pencha légèrement vers Elioth avant de cueillir son visage dans ses mains ; Elioth tressaillit, rejeta vivement Bella – qui manqua de tomber en arrière – et il se releva prestement pour toiser l'actrice d'un regard glacial encore plus méprisant qu'à l'accoutumée.
« Et moi je peux vous assurer que si toutes les femmes étaient comme vous, Mlle Hantial, l'humanité ne pourrait descendre plus bas. »
Elioth fit volte-face, plantant l'actrice désappointée au pied du cerisier, et j'hésitai une demi-seconde avant de me relever. Une demi-seconde de trop : Bella pivota vers moi, m'attrapa violemment le bras – je crus que j'allais hurler en sentant une vive douleur envahir mon épaule blessée – et elle me susurra avec toute sa méchanceté :
« Je te déteste, Evy ; tu m'as toujours pourri la vie, et tu me le payeras un jour. Tu as peut-être gagné aujourd'hui, mais je te battrai sur le long terme. JE l'aurai : pas TOI. »
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Pour deux semaines et un jour
RomanceVingt participants. Vingt idoles. Deux semaines. Le programme « Dans la peau d'une Idole » est lancé, et en quelques secondes, toutes les places sont réservées. Parmi elles, Evy, une ingénieure rationnelle et travailleuse, entraînée de force dans ce...