Chapitre 8 - Partie 4 - Confrontation

41 17 16
                                    

« Bon cours. »

Il fit volte-face et quitta la salle aussi rapidement qu'il n'était entré, refermant assez brutalement la porte. Je me retournai vers Alysea qui semblait avoir toutes les peines du monde pour se contrôler ; elle finit cependant par s'intéresser à moi et elle déclara sur un ton calme qu'elle maîtrisait difficilement :

« Très bien, Evyna... Nous pouvons commencer ce cours, si vous le voulez bien... »

Vraiment, Alysea allait me donner une leçon de chant ? Beaucoup seraient jaloux s'ils l'apprenaient...

***

« Sur quelle chanson souhaitez-vous vous entraîner ? »

Je n'en crus pas mes oreilles : Alysea me demandait mon avis sur ce que je voulais faire ?! Pourtant, il fallait avouer que je n'avais pas la moindre idée... enfin, je n'avais tout simplement pas envie de chanter. Mais ce n'était nullement la réponse appropriée : Alysea se montrait beaucoup plus sympathique d'Elioth ou encore l'autre sénile, alors il valait mieux que je ne la froisse pas. Je sortis le premier titre de chanson d'Alysea qui me passait par la tête : Éveil. Celle que la diva avait chantée le premier soir et qui avait tant ravi les autres stagiaires.

« Vous n'êtes pas obligée de choisir l'une de mes chansons, remarqua Alysea, avant d'enchaîner sans me laisser le temps d'en placer une : Mais soit, si c'est ce que vous voulez. »

Elle sortit son téléphone, tapa frénétiquement quelques minutes sur son écran, puis connecta son appareil à l'une des enceintes de la pièce.

« Connaissez-vous déjà toutes les paroles de la chanson ? me demanda alors l'idole.

— Oui, » approuvai-je.

Même si je n'ai jamais cherché à les mémoriser... Mais ce n'était guère un commentaire à placer à haute voix. Quoi qu'il en fût, Alysea semblait assez étonnée par ma réponse et elle enchaîna :

« Fort bien. Je vais mettre seulement la musique : montrez-moi ce que vous pouvez chanter dessus. »

À la réflexion, j'aurais dû choisir une chanson qui n'était pas la sienne : au moins, elle se serait sentie moins offusquée en m'écoutant psalmodier la chanson avec un manque de talent évident. Mais il était trop tard pour revenir en arrière car la musique commença et ce fut bientôt à moi de chanter. J'entonnai les premières paroles avec un manque d'assurance considérable, je m'attendais à me faire interrompre immédiatement tellement c'était faux, mais Alysea ne fit rien. Elle attendit la fin de la chanson – je lui aurais pourtant su gré d'interrompre ma supplice – pour prendre la parole :

« Effectivement, vous connaissez parfaitement les paroles. L'avez-vous déjà chantée auparavant pour vous-même ?

— Non. »

Ma réponse avait peut-être été un peu sèche car Alysea eut un léger mouvement de recul, avant d'enchaîner :

« D'accord... Eh bien, ce n'est pas trop mal pour un premier essai. »

Euh, que venait-elle de dire ?

« Vous savez vous adapter au rythme de la chanson, prolonger la mélodie lorsque c'est nécessaire... Certes, vous manquez d'assurance et de confiance en vous, ce qui rend la chanson un peu plate, sans profondeur. Par cette autocensure, vous empêchez votre voix de retentir aussi clairement qu'elle le devrait. Enfin, ce n'est qu'une première fois, je suis sûre que vous allez faire mieux la prochaine. »

Nul doute ne subsistait : elle s'était fixée comme objectif de me couvrir de louanges totalement imméritées afin que je ne condamne pas son programme chéri en laissant une mauvaise note – même si je n'avais pas la moindre intention de laisser un avis, qu'il fût positif ou non, sur ce programme : la critique était lâche et facile, tandis que le mensonge était hypocrite et honteux –. C'était la seule explication rationnelle, puisque tout ce qu'elle disait entrait en totale contradiction avec les insultes que j'avais récoltées la veille, aussi bien de la part du professeur sénile que d'Elioth : et personnellement, j'avais plus tendance à croire que j'étais médiocre que génialissime en matière de chant.

« Eh bien, réessayons, si vous le voulez bien. Et prenez confiance en vous, laissez votre voix sortir, ne la bridez pas. »

Je n'eus d'autre choix que de lui obéir. La chanson recommença, j'entonnai les mêmes paroles, Alysea me fit plusieurs signes pour m'inciter à hausser la voix – mais pourquoi tenait-elle tant à ce que je casse tous les carreaux du studio ?! – et après quatre longues minutes, ce nouveau calvaire fut enfin achevé.

« C'est mieux, fit Alysea. Mais je suis sûre que vous vous bridez encore. Nous allons procéder différemment : nous allons chanter toutes les deux et je veux pouvoir entendre votre voix, alors n'hésitez pas ! »

Elle remit la musique sans me laisser le choix – bon, inutile de se le cacher, j'allais finir sourde ce soir –. Ainsi se poursuivit le cours de chant en compagnie de la diva mondialement célèbre : elle continua de me couvrir de compliments totalement immérités, tant en m'incitant à hausser la voix et cesser de m'autocensurer. Était-il vraiment impossible à comprendre que je m'autocensurais pour préserver son audition – et la mienne au passage – ?

Je fus donc soulagée lorsqu'Alysea décida qu'il était l'heure d'arrêter, même si je devais admettre que ce cours avait été beaucoup plus agréable que celui de la veille – d'un autre côté, tout aurait été plus appréciable que celui-ci –. Nous regagnâmes alors le restaurant, et je découvris immédiatement que Bella était assise à ma place. Elle bavardait gaiement avec Elioth – ou plutôt, elle lui parlait, et lui, il l'ignorait superbement –, mais il n'en demeurait pas moins qu'elle avait pris la place dans le coin en face de Sophy. C'était ma place, qu'elle fût à côté d'Elioth ou non.

En nous entendant entrer, Veronica se retourna vers nous et elle articula silencieusement à l'intention d'Alysea :

« Allie, fais quelque chose par pitié ! Elle n'a pas à être là ! »

Comprenant facilement que l'idole aux cheveux bleus parlait de Bella, je me tournai vers Alysea pour voir sa réaction et je la vis esquisser un sourire en coin. Peu désireuse d'obéir à Veronica, elle se tourna vers moi et déclara :

« Si vous voulez bien venir, Evyna, il y a deux places libres là-bas. »

Elle m'entraîna à l'autre bout de la salle, Veronica lui jeta un regard interdit, mais s'abstint de protester. Je pris place dans un coin – tout de même, il ne fallait pas perdre les bonnes habitudes – et, en nous voyant nous installer, Luke qui était assis juste en face de moi, déclara en jetant un coup d'œil discret en direction de Bella :

« Tu ne la renvoies pas, Allie, après la façon avec laquelle elle t'a traitée ce matin ?

— Non, ces petites querelles n'ont aucune raison de m'atteindre, » réfuta Alysea en esquissant un grand sourire.

Mi-surpris, mi-amusé par cette réponse, Luke n'en ajouta pas davantage, et nous commençâmes à commander nos plats. Fidèle à ma tradition, je pris un thé glacé et j'y joignis une spécialité de l'île que je n'avais pas encore goûtée. Le début du repas se déroula normalement, je ne prononçai pas un mot, personne ne m'adressa la parole – bref tout allait bien, même si la compagnie de Sophy me manquait un peu –.

Pour deux semaines et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant