Short Stories Collection

Short Story 76 - Douleur

J'étais enceinte de Nora quand j'ai prié pour la première fois pour qu'elle fasse disparaître ma douleur. J'en avais marre de tous les coups, les jurons, les tourments. Mon mari n'était pas un homme gentil. Savoir que je serais bientôt mère était le signal d'alarme dont j'avais besoin.

Je suis partie cette nuit-là, j'ai fait mes valises pendant son absence, j'ai acheté un ticket de bus et j'ai disparu. J'ai prié Dieu pour Nora, qu'elle enlève ma douleur, que le début de sa vie marque aussi un re-début de la mienne.

Ce à quoi je ne m'attendais pas, c'est que Dieu prenne ma demande aussi littéralement.

Ce n'est qu'à l'âge d'un peu plus d'un an que je l'ai compris. Nora était assise dans sa chaise haute et regardait sa maman cuisiner. J'étais en train de couper des légumes pour notre dîner quand le couteau a glissé, m'entaillant le bout du doigt.

J'ai juré en me précipitant pour attraper un torchon quand brusquement la douleur a disparu. J'ai regardé mon doigt alors que la plaie se refermait, laissant une parfaite petite cicatrice blanche.

Soudain Nora a crié. J'ai couru vers elle et j'ai vu avec horreur que le sang commençait à couler d'une tranche qui passait lentement sur son petit doigt.

À partir de ce jour, ma sécurité n'était plus la mienne, mais celle de Nora aussi. Elle a pris ma douleur et nous avons partagé les mêmes cicatrices. Une sur le bout de notre doigt, une sur notre genou, une sous notre menton, une sur le côté de notre pied gauche.

Toutes mes cicatrices étaient maintenant les siennes, sauf une.

J'ai été appelée à son jardin d'enfants il y a presque un an. Nora s'était blessée dans la cour de récréation et ils l'avaient emmenée aux urgences. Je n'avais pas à m'inquiéter, m'ont-ils dit, c'était une simple entaille mais il fallait probablement quelques points de suture.

Cette cicatrice était sa préférée, en forme de petite étoile sur son avant-bras. C'était la seule cicatrice que nous n'avions pas partagée.

Nos vies n'étaient pas parfaites mais nous étions heureuses...

...jusqu'à ce qu'il nous retrouve.

J'ai su que c'était lui à la façon dont il a frappé à notre porte. Ce martèlement contenait une colère familière.

J'ai poussé Nora dans sa chambre, je lui ai dit de verrouiller sa porte. J'ai couru vers la cuisine et j'ai sorti un couteau du tiroir juste au moment où il défonçait la porte, criant et délirant.

Il a bondi vers moi, a mis ses mains autour de ma gorge.

Ce n'était pas seulement la peur pour ma vie qui m'a fait claquer le couteau, c'était pour Nora. Ses mains étouffantes mettraient fin non seulement à ma vie, mais aussi à la sienne.

J'ai enfoncé le couteau jusqu'à la garde dans sa poitrine.

Il n'y avait pratiquement pas de sang, et sans un bruit il s'est laissé tomber sur le sol. Je me suis agenouillée, tremblante, cherchant un pouls dans son bras. Il n'y en avait pas.

Le cauchemar était enfin terminé. Ma Nora et moi allions pouvoir continuer notre petite vie tranquille.

C'est alors que j'ai remarqué une petite cicatrice sur son avant-bras.

Elle avait la forme d'une étoile...