Short Stories Collection

Short Story 81 - Demon à la station de métro

Cette histoire est le récit de quelque chose qui m'est arrivé quand j'avais sept ans. Au fil des années et en grandissant, j'ai réalisé que l'histoire ne pouvait pas être vraie, mais je ne peux pas me débarrasser du sentiment qu'elle l'est.

C'est arrivé à Tokyo, dans la station de métro. J'étais aux côtés de mon père lorsque j'ai vu le démon, une créature monstrueusement grande et poilue, avec des ailes noires et coriaces et un museau semblable à celui d'un fourmilier. J'ai dû le regarder pendant près de dix minutes avant qu'il ne parle enfin, dans un doux marmonnement qui était clairement destiné uniquement à ses oreilles :

-Cet humain me fait peur, a-t-il dit. On dirait presque qu'il me regarde.

-Je te regarde, ai-je confirmé.

Le démon a failli avoir une attaque.

-Tu peux me voir ? a-t-il demandé.

-Oui. Tout le monde ne peut-il pas le faire ?

-Pas à moins qu'ils ne soient dans la cinquième dimension.

-Suis-je dans la cinquième dimension ? ai-je demandé.

-Ton esprit a dû glisser ici par erreur. À quoi pensais-tu avant de me voir ?

J'ai réfléchi un instant, puis j'ai souri.

-Aux trains.

-Oh, eh bien, les trains sont le lien entre nos dimensions. Je suppose que ton esprit a dû vagabonder ici. Soit ça, soit tu deviens fou.

-J'espère que je ne deviens pas fou, ai-je dit.

-Être fou est une bonne chose dans la cinquième dimension, a répondu le démon.

J'ai ri.

-Avez-vous des lignes de métro dans la cinquième dimension ?

-Bien sûr, a-t-il dit. Sinon, comment pourrions-nous nous rendre au travail ?

-Avec tes ailes ! ai-je dit.

-Oui, mais qui veut voler ? Prendre le train est tellement plus rapide, et si je prends l'avion pour aller au travail, je suis tout en sueur quand j'y arrive.

-Alors, à quoi servent tes ailes ? ai-je demandé, surpris.

-Je les mets sur ma tête quand il pleut.

-Tu peux me montrer ? ai-je demandé.

-Bien sûr, a dit le démon.

Mes cheveux ont été rejetés en arrière tandis qu'il envoyait ses énormes ailes au-dessus de sa tête.

J'ai encore ri.

-Tu es drôle, ai-je dit.

Le démon a ri aussi, mais son expression a changé ensuite.

-Est-ce que ça va ? lui ai-je demandé. Tu sembles triste.

-Oui oui, a répondu le démon, fixant quelque chose derrière moi. Dis, tu aimerais voir un tour de magie ?

-D'accord.

Le démon a levé la main et a sorti un grand mouchoir arc-en-ciel de son museau. Il a dû le faire pendant près d'une minute avant d'en arriver au bout.

-Ça c'est drôle.

J'ai ri, mais j'ai arrêté quand j'ai réalisé que je ne tenais plus la main de mon père.

J'ai regardé autour de moi et j'ai vu que la station de métro avait disparu, remplacée par des prairies verdoyantes pleines de vieux trains.

-Je ne vois plus la station de métro.

-Ce n'est pas grave, a dit le démon. Parfois, il vaut mieux voir ce qui n'est pas là plutôt que ce qui existe.

-Que veux-tu dire ?

-Parfois, quand je m'ennuie ou que je suis triste, mon esprit glisse vers la troisième dimension et je vois des gens comme toi.

-C'est drôle, ai-je dit en riant. Peux-tu aussi aller dans d'autres dimensions ?

Mais le démon n'a pas répondu, il regardait le ciel.

-Il commence à pleuvoir, a-t-il dit en levant ses ailes au-dessus de sa tête.

De chaudes gouttelettes de pluie m'ont frappé le visage.

-Est-ce que je peux me mettre sous tes ailes avec toi ? ai-je demandé.

-Pas maintenant, j'en ai bien peur, a-t-il répondu. Tu dois rentrer chez toi.

Le monde a commencé à scintiller et à s'articuler comme différentes nuances de peinture verte et dorée, tournant en rond. J'ai commencé à me sentir un peu malade et j'ai fermé les yeux. Le monde s'est arrêté de tourner, mais des gouttelettes d'eau tièdes tombaient toujours sur mon visage.

J'ai ouvert les yeux et j'ai vu ma mère pleurer sur mon visage, mais je n'ai pas vu mon père.

-Où est Papa ? lui ai-je demandé. Est-ce qu'il m'a ramené à la maison ?

-Oui, chéri, a-t-elle confirmé, même si elle ne m'a pas regardé quand elle l'a dit. Il t'a ramené à la maison et ensuite il a dû partir.

-Oh, ai-je fait. Quand sera-t-il de retour ?

-Je ne sais pas, a-t-elle dit.

Mon père n'est jamais revenu et il a fallu des années avant que je découvre la vérité : il s'était suicidé ce jour-là.

Ce matin-là, il avait écrit une note à ma mère expliquant qu'il avait l'intention de m'emmener et de sauter devant le train avec moi. Ma mère l'a découverte en rentrant du travail et a appelé la police, mais il était trop tard pour arrêter mon père.

Les témoins disent que juste avant qu'il saute, je me suis éloigné de sa main et je me suis enfui, m'évanouissant juste après. Mais l'un des témoins, un petit garçon d'environ mon âge, a déclaré avoir vu quelque chose me prendre la main et m'éloigner du train à grande vitesse.

Il a dit que c'était une créature monstrueusement grande et poilue, avec des ailes noires coriaces et un museau de fourmilier.