Les explorateurs avides d'or, dont le regard perdu fouillait la végétation à la recherche de la moindre lueur suspecte, crachaient sur ces vieilles pierres qui leur bloquaient la vue. Des colonnes, des stèles, des vestiges de temples effondrés, pris dans le tourbillon de la Forêt Changeante, et qui, comme un manteau reprisé par chacun de ses propriétaires, n'avaient plus rien à voir avec leur forme d'origine. Les racines, les lianes et le lichen s'étaient infiltrés partout, ils avaient descellé les pierres et emporté celles-ci au loin, tels une troupe de fourmis dépeçant un morceau de sucre.
Les vestiges de plus grande taille servaient de repères ; bien que le peuple d'Avalon ne pût lire les symboles des frises géométriques et ne comprît rien aux scènes des bas-reliefs, on parlait de la stèle en forme de poisson, du cercle de menhirs, du tumulus, et on se comprenait ainsi.
Arnold, qui avait tracé une croix sur l'or dès l'âge de raison, se sentait intimidé par ces pierres silencieuses. Elles témoignaient de la puissance des Précurseurs, les premiers hommes arrivés sur Avalon, emmenés par le dieu Wotan qui leur avait offert ce monde. Une formidable civilisation pourtant tombée dans l'oubli, après s'être entre-déchirée dès ses premiers pas dans la Guerre des Sysades.
De même que les branches des arbres se déplaçaient dans son dos, il avait toujours l'impression que les silhouettes humanoïdes des bas-reliefs, avec leurs bras levés et leurs grosses têtes rondes, se tapaient les cuisses en riant de lui, de tous les autres guides forestiers et de toutes les principautés, royaumes et empires qui s'étaient partagés l'histoire tourmentée du monde d'Avalon depuis ce conflit mythique.
Ils avaient été là, eux aussi, et personne ne se souvenait d'eux.
En arrivant à Kels, les étrangers de l'Empire cherchaient une ruine bien précise : il avait suffi que le chevalier Siegfried lui tende un dessin pour qu'Arnold reconnaisse la Pointe de Flèche. À vrai dire, ils auraient dû l'atteindre depuis une demi-heure au moins, mais la Forêt changeait sans cesse de forme, et elle emportait ces vestiges avec elle, comme des épaves flottant à la surface d'un lac.
Siegfried et ses hommes mirent pied à terre ; leurs chevaux demeurèrent sur place sans faire le moindre mouvement. Le chevalier masqué détailla longuement la façade de la Flèche. La pointe en était émoussée et sa surface était inondée de lierre. Le tétraèdre peinait à prendre sa place parmi les arbres, dans cette petite clairière. On ne l'aurait sans doute pas vu d'en haut.
Arnold s'approcha de la Flèche, arracha une poignée de lierre et tapota du dos de la main.
« C'est l'un des plus grands vestiges encore debout, nota-t-il. Il est fait d'une seule pierre. Il y a quatre frises gravées qui font le tour, et normalement... »
Il continua de tirer sur les branches pour libérer la surface basaltique, découvrant un renfoncement triangulaire de trois mètres de haut, couvert de symboles plus petits. Cela ressemblait furieusement à un cadre de porte, et quelqu'un avait tenté d'attaquer la surface au burin, exigeant sans doute que le trésor promis par la légende occupât les entrailles de la Flèche. Mais il avait à peine détaché un éclat de la surface, décapitant au passage un des petits bonshommes agités.
Le chevalier Siegfried faisait le tour du vestige à pas lents. Deux fourreaux symétriques étaient fixés à sa taille, et rebondissaient sur ses jambières épaisses ; il en émergeait non pas la garde d'un sabre, mais la crosse noire d'un pistolet. Des éclats argentés au niveau de ses poignets trahissaient la présence de lames rétractables, qui coulissaient le long de ses bras.
« C'est bien ce que vous vouliez ? demanda Arnold avec inquiétude.
— C'est exactement cela » répondit le chevalier.
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Mû
Ciencia FicciónAprès cinq cent ans passés à veiller les ruines de la Terre, l'Ase Morgane est appelée en mission sur Avalon. Mais le monde errant, refuge des espoirs de l'humanité acculée, a bien dévié de sa route. Les administrateurs du système sont introuvables...