32. Le salut de l'âme

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Aujourd'hui, Noah est entré dans mon bureau pour me parler de la technologie d'empreinte. J'ai beaucoup réfléchi, m'a-t-il dit. En théorie, ta machine va extraire toute l'information contenue dans le cerveau humain. Mais qu'en est-il de l'âme ? Comment être certain que nos âmes vont aussi voyager en Avalon, et qu'elles ne seront pas, au contraire, arrachées et laissées en arrière ?

Il ne plaisantait pas. Il était resté éveillé toute la nuit en craignant pour le salut de son âme, en imaginant qu'il errerait peut-être à jamais sur notre Terre défigurée.

Je n'ai pas eu le courage d'entrer dans un long débat. Je n'en veux pas à Noah d'être un homme très croyant qui essaie, dans les circonstances terribles où nous sommes, de trouver encore un sens à sa foi. Je lui en veux d'inventer de faux problèmes pour éviter d'affronter la réalité. Et de se noyer ensuite dans ces faux problèmes, d'être frustré de ne pouvoir rien y faire, et d'évacuer sa frustration sur l'ensemble du projet.

C'est cette façon de penser qui a tué la Terre. Nous aurions pu sauver dix fois notre planète, mais la plupart d'entre nous étaient trop occupés à chasser leurs sorcières, qu'il s'agît des communistes, des américains ou du nouvel ordre mondial. À raffiner leur dialectique anti-sorcières. À organiser leurs manifestations anti-sorcières. Et quelquefois, à brûler des sorcières.

Noah, lui, cherche le salut de son âme. Il ne réussira pas mieux que les campagnes anti-sorcières, et au fond, il n'entend pas réussir. C'est un hobby pour le maintenir occupé, pendant que nous consacrons toute notre énergie au projet.

Wos Koppeling, Journal


Morgane se réveilla dans le corps humanoïde qu'elle avait emprunté une semaine plus tôt à peine. Tous ses mouvements lui paraissaient flous. En essayant de se relever, elle tomba de la table sur laquelle elle était allongée. Son bras se plia et se tordit avec un grincement plaintif. Les câbles connectés dans sa nuque et son dos claquèrent et s'enroulèrent autour d'elle comme des fouets ; elle mit un certain temps à s'en dépêtrer.

« Bonjour, Morgane. »

Elle avait perdu l'habitude d'entendre le timbre choral résonner dans sa tête, cette voix qui semblait superposer des dizaines d'humains de tous âges et de toutes origines.

« Je vois que tu es revenue, ajouta SIVA alors qu'elle se relevait à peine. Cependant, aucune interface ne m'a été ouverte. Peux-tu m'expliquer ? »

Contrairement à Hypnos, SIVA ne pouvait pas accéder à ses pensées profondes. Leur canal de transmission était l'équivalent d'une conversation à haute voix.

« Oui, je vais t'expliquer » promit-elle en laissant retomber les câbles déconnectés.

Elle se mit en chemin ; son bras meurtri rebondissait contre sa hanche en grésillant.

« Où vas-tu ? s'étonna SIVA.

— J'ai besoin d'invoquer Koppeling. »

Une porte automatique claqua véhémentement devant elle, et le souffle du choc la laissa tanguer sur place pendant quelques secondes.

« Je ne peux pas te l'autoriser tant que je ne dispose pas de plus amples informations.

— J'ai trouvé un Sysadmin. Mais la situation est plus compliquée que prévu. Les privilèges d'Administrateur Système ne suffisent pas à rouvrir les interfaces. Nous avons besoin d'un Super-Administrateur.

— Ce rôle n'existe pas, souligna SIVA, sur le ton définitif d'un formulaire en ligne qui ne comporte que deux cases, pas trois, pas quatre, et qui subodore que si vous ne rentrez dans aucune des deux cases, vous n'avez qu'à changer quelque chose dans votre vie et revenir plus tard.

MûOù les histoires vivent. Découvrez maintenant