Matiev est arrivée hier. Je lui ai présenté l'avancement de l'architecture de SIVA. Elle n'a pas dit grand-chose, mais j'ai bien senti que nous allons devoir tout reprendre depuis le début. Par ailleurs, elle m'a laissé une pile de dossiers à lire d'ici demain. Beaucoup de recherches qui n'ont jamais été rendues publiques, et ont maintenant été transférées de son ancien laboratoire au projet Avalon. La nuit sera longue.
Wos Koppeling, Journal
Lorsque Fulbert remonta du puits, ce fut comme s'il quittait les Enfers ; il se rendit compte que Morgane murmurait son nom d'une voix éplorée. À dix mètres d'eux, derrière les troncs rigides des pins, flottait une sorte d'étoffe, comme une écharpe oubliée suspendue à une branche.
« C'est un Creux, dit le Paladin. Ne le laissez pas vous approcher. »
Elle hocha gravement la tête. À la lumière de la Sainte Écaille du sabre, l'iris blanchâtre de ses yeux prenait une teinte azurée plus douce.
Fulbert lui échangea son sabre contre un pistolet chargé. Morgane, intriguée par le niveau technique d'Avalon, l'avait déjà démonté deux jours plus tôt. C'était une arme du milieu du XIXe siècle, qui ne tirait qu'un seul coup ; il fallait viser juste. Sa crosse en bois marqueté avait vu de meilleurs jours.
Puisque l'âme est liée au corps, mais qu'elle peut s'en libérer, il doit exister quelque chose qui permet de la relier à lui. Un contenant dont elle est le contenu. Lorsque l'âme se libère, le corps se désagrège, et ce contenant n'a plus aucun objet. Mais que devient-il ? Qu'advient-il s'il était particulièrement robuste, attaché à une âme particulièrement puissante ? Ce n'est rien qu'une coquille vide qui demeure à mi-chemin entre la matière et l'esprit. Et cette coquille ne désire qu'une seule chose... mais ce n'est pas un désir, plutôt une force qui la lie, de même que l'eau coule toujours en direction du fleuve... elle désire se remplir de nouveau. Voilà, selon le Paladinat, ce qu'était un Creux. Le contenant d'un humain, énorme et insatiable, cherchant à se nourrir d'âmes humaines.
Un Creux peut absorber une âme comme un bernard-l'hermite s'installant dans sa nouvelle demeure ; il oublie alors tout à fait qu'il était un Creux. Mais il n'en demeure pas moins un mensonge voué à se dissoudre.
« Pourquoi es-tu ici ? lança Fulbert d'une voix tremblante. Es-tu venu me confirmer ce que disait Siméon ? Que nous sommes tous les deux de pareils rêves ? »
Mais le Creux ne répondit point ; il n'en avait guère les moyens. Il se contenta de déplier sa silhouette entre les pins et de la traîner vers eux comme une calamité. Il se déplaçait lentement, et de loin, on aurait pu le confondre pour un arbre mort, dans lequel se seraient pris des centaines de morceaux d'étoffe rapiécés. Ces haillons innombrables se détachaient parfois de lui comme des peaux mortes, et se dissolvaient aussitôt dans un pépiement d'étincelles argentées. Car il était à mi-chemin entre la réalité et le néant. Sa silhouette était celle d'un olivier centenaire, trouble, charnue et torturée, portant les mêmes protubérances que de vieux tilleuls. Ses branches tordues étaient des bras dont grinçaient les articulations improbables ; ils se terminaient par de longues griffes d'argent.
Sous ses peaux flottantes, l'écorce du Creux était couverte de ridules oscillantes, comme l'eau noire d'un lac maudit, dont remontera tantôt la tête d'un cadavre. Et l'on craignait de voir apparaître un visage, ou même un fragment de visage, dans les replis contrastés de cette mare grisâtre. Cela aurait été signe que le Creux avait déjà fait pitance en chemin, un repas insuffisant pour son appétit gargantuesque, capable d'avaler tous les hommes du monde d'Avalon jusqu'à ce qu'il se rende compte que les hommes n'étaient pas sa véritable nourriture.
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Mû
Science FictionAprès cinq cent ans passés à veiller les ruines de la Terre, l'Ase Morgane est appelée en mission sur Avalon. Mais le monde errant, refuge des espoirs de l'humanité acculée, a bien dévié de sa route. Les administrateurs du système sont introuvables...