30. MODL

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Vers vingt-cinq ans, j'ai perdu l'envie de devenir un meilleur homme.

C'est une mutation irréversible : bien avant mes premières rides, j'étais déjà un vieil aigri, estimant que je ne devais plus rien au monde, ni à personne.

Wos Koppeling, Journal


Sur le chemin de la porte Ouest, Morgane suivit le dirigeable du regard. Elle avait à peine gagné la plage lorsque l'enveloppe prit feu et que l'explosion retentit, brisant les vitres dans la moitié de Hermegen. Un océan de flammes tourbillonnait au sommet des jardins suspendus, et le palais des princes se consumait tel la main tordue d'un damné de l'Enfer.

L'onde de choc retourna l'air et la terre comme une cavalcade infernale, ne laissant personne debout, si ce n'était le destrier fringant du Haut Paladin, dont les sabots s'agitèrent nerveusement, mais qui se campa avec fierté face à ce coup de tonnerre.

Morgane traversa les exclamations de surprise et les conversations étouffées ; à l'entrée de la ville, au pied de la muraille, on ramassait ses affaires avec force jurons, les yeux rivés vers la torchère qui consumait les jardins suspendus, visible de tous, comme la richesse des princes l'avait été autrefois. Les habitants se ruaient désormais en direction du centre, paniqués, heurtant les gardes qui tournaient tels des poules affolées en attendant des ordres. Les voyageurs et marchands de passage demeuraient en place, interdits, remerciant Wotan de leur avoir épargné son courroux ; ils ne mettraient plus jamais le pied dans Hermegen.

L'Ase abandonna le cheval sur le chemin ; elle glissa sur le bas-côté et courut vers la plage à en perdre haleine. Comme l'avait dit Fulbert, une ligne de navires marchands flottait au loin, leurs hautes silhouettes piétinant comme des clients faisant la queue. Ses bottes s'enfoncèrent dans le sable meuble, dont la couleur sombre lui rappelait la Terre. Une falaise imposante se dressait sur sa gauche, dont se détachaient des épines rocheuses qui semblaient marcher vers la mer et s'y s'enfoncer. La falaise était criblée de cavernes naturelles et artificielles ; on en avait extrait les tonnes de remblai nécessaires à l'édification des jardins suspendus. Morgane croisa quelques pêcheurs à pied qui remuaient les trous d'eau à la recherche d'un crabe juteux. Ils avaient bien entendu l'explosion, mais face à l'impensable, il arrive que l'esprit humain se raccroche à des trivialités ; ainsi, même si le ciel s'effondrait sur tout Avalon et qu'il n'en restait plus qu'un coin accroché au plafond, cela n'interromprait pas leur journée.

Les cavernes se firent plus rares, comme les crabes, et comme les pêcheurs, et elle se retrouva seule entre les roches brunâtres et la mer agitée. Morgane continua de marcher jusqu'à ce qu'un rayon de soleil lui éclaire enfin une façade de pierre noire, incrustée dans la falaise, telle une veine minérale révélée par l'érosion.

Un vestige des Précurseurs.

Cette roche basaltique lui rappela aussitôt les stèles de la Terre, et s'en rapprochant, Morgane reconnut le même langage, les mêmes idéogrammes conçus par les meilleurs linguistes et neuro-cogniciens pour que toute civilisation avancée, si besoin avec quelques années d'effort, parvienne à les déchiffrer.

Cela n'avait aucun sens.

Elle se trouvait ici à Avalon, dans un monde conçu par les humains eux-mêmes ! À qui destinaient-ils donc ces glyphes ?

La pierre était marquée d'un grand renfoncement triangulaire, de taille humaine – une porte scellée. Morgane posa ses genoux dans le sable et étudia les signes.

À vous, qui viendrez après nous...

Ses yeux s'agrandirent de surprise.

Les Précurseurs destinaient ces mots à leurs successeurs : les humains qui vivaient aujourd'hui sur Avalon.

MûOù les histoires vivent. Découvrez maintenant