36. La crypte

18 6 8
                                    


J'ai l'impression que les partisans de l'invasion sont aussi ceux qui ont voté pour l'immortalité. Noah Williams ne s'en cache pas : il aurait bien aimé, après le projet Avalon, coordonner l'assaut sur Antarès.

Si je peux lui reconnaître une chose, c'est que ses intentions sont claires.

Je l'ai entendu discuter des possibilités de tricher avec le temps de la Simulation, de réactiver certaines options de développement... sans doute, après la migration, les développeurs qui partagent ses idées auront tout le temps de trouver des solutions à ce « problème ».

Wos Koppeling, Journal


Ils descendirent un long couloir. L'air s'était réchauffé, mais alourdi, comme s'ils respiraient l'haleine d'un monstre englouti. Confiant, Lennart alluma une lampe torche pour pallier à la déficience des murs phosphorescents.

« Pourquoi ai-je construit l'Empire, Siegfried ?

— Pour réinitialiser Avalon, comme le réclament les Protocoles.

— Selon toi, nous ne faisons tout cela que pour nous conformer aux Protocoles ? »

Où voulait-il en venir ? Lennart se tourna brièvement vers lui, et le faisceau de la lampe électrique l'aveugla.

« Eh bien, tu te trompes, Siegfried. Ce ne sont pas les Protocoles que nous suivons, mais la volonté de ceux qui les ont écrits. Les Précurseurs.

— Peut-être, si tu veux.

— La distinction est importante. »

Ils mirent pied dans une salle plus vaste que la précédente, et d'une conception très différente : ni sa voûte de pierre, ni ses murs irréguliers ne portaient la moindre inscription. Les Précurseurs n'avaient ici aucun message à faire passer. Ce silence perturbait Siegfried.

« Viens par ici » ordonna Lennart en s'approchant du mur.

Sa surface alternait entre l'opacité et le reflet, et le chevalier comprit bientôt qu'il s'agissait de piliers de basalte pris dans un mur de glace noire. Lennart posa sa lampe sur le sol ; la lumière pénétra quelques centimètres sous la surface vitreuse et rencontra les contours d'un objet pris dans la glace.

« Approche, commanda l'Empereur. Tu dois voir de tes propres yeux. »

Siegfried s'avança, saisit la lampe et la posa presque sur la vitre. C'était un pied humain, entouré de quelques bulles d'air. Il éleva le faisceau. Derrière ce pied venait une jambe, puis un tronc, une tête ; c'était un homme vêtu d'une sorte de combinaison moulante en plastique noir. Ses yeux étaient sagement fermés. Un fin sourire éclairait son visage paisible.

« Qu'est-ce que...

— Oui, Siegfried, les Précurseurs n'ont pas tous disparu. »

Lennart lui prit la lampe des mains et le guida à travers la pièce, comme s'ils dérivaient parmi les ombres. Derrière ces larges piliers qui soutenaient le plafond, les murs de glace semblaient se poursuivre à l'infini. Un grattement résonna au loin, hors du champ de la lampe. Siegfried pensait à des Nattväsen, mais Lennart continua de marcher sans y porter aucune attention.

« Ils ne sont donc pas morts ?

— Le Refuge est un dispositif de stase. La glace dont sont faits ses murs est à l'épreuve du temps. Ils ont figé leurs esprits il y a cinq siècles, dans l'intention de poser le pied eux-mêmes sur leur nouvelle planète. »

Lennart agita la lampe, dont le faisceau se promena sur le mur et projeta quelques reflets aux alentours. Il cherchait quelque chose.

« Le temps a toujours été un problème majeur du projet Avalon. Vous ignorez tout cela, toi et les autres, car vous n'êtes là que depuis quelques années à peine – mais moi, j'ai vécu la formation d'Avalon et la Guerre des Sysades. Beaucoup des bâtisseurs d'Avalon pensaient vraiment construire un deuxième monde, pas seulement un vaisseau, et c'est pourquoi la Simulation impose un écoulement temporel. Mais les Précurseurs qui sont ici, menés par Noah Williams, ont trouvé un moyen d'y échapper. Cela leur a permis de survivre à ce long voyage. »

MûOù les histoires vivent. Découvrez maintenant