La ligne de fracture est claire et nette. Les deux camps portent un nom : le camp d'Antarès, et le camp d'Eden. L'invasion ou la passivité.
J'ai refusé de prendre position ; dès demain, je procéderai à l'expérience d'empreinte. Ce n'est pas glorieux, mais je veux partir d'ici ; j'ai le sentiment d'avoir fait tout ce que je pouvais.
Wos Koppeling, Journal
Un bruit d'impact minéral résonna dans la cour. La bille de plomb s'était arrêtée à mi-course, aplatie en corolle florale. Elle glissa contre une vitre invisible et tomba entre deux pavés.
« C'est incroyable, tout ce qu'on peut faire avec un caillou. »
Anastase ne remarqua le disque transparent, suspendu devant lui, qu'en faisant un pas de côté. Une image déformée, colorée en bleu clair, était projetée au sol comme une phase lunaire. Puis l'objet se concentra en une bille minuscule, qui traversa la cour et regagna une main tendue, comme un faucon rejoignant son maître.
C'était un homme jeune, la vingtaine bien entamée ; ses vêtements élimés portaient de nombreuses déchirures suspectes, et ses cheveux chaotiques étaient couverts de poussière. Mais tout ceci n'était qu'un détail face à la moustache ridicule qui campait fièrement sous son nez comme Napoléon la veille de Waterloo.
« Fulbert d'Embert, le téméraire, Paladin. »
Anastase hocha la tête, considérant que puisque cet homme venait de lui sauver la vie, il ne discuterait pas cet usage public des pouvoirs de Sysade.
Siegfried posa sa main sur la tête de sa prisonnière ; elle releva le regard, et Anastase remarqua ses iris blancs. C'était une évidence. Certains Ases étaient donc dans leur camp. Et si le dieu Wotan, qui n'était qu'une légende, ne reviendrait jamais du Monde Obscur pour soutenir leur combat, peut-être que Mû le pourrait.
« Messire Fulbert, dit Siegfried d'une voix appliquée, comme le premier de la classe récitant un poème, j'ai ici quelque chose que vous voulez, et vous avez quelque chose que je veux. Je vous propose de procéder à un échange. »
Fulbert jongla pensivement avec sa pierre. Tous les regards suivirent la bille de cristal qui rebondissait dans sa main.
« Messire Siegfried, depuis que vous m'avez jeté par-dessus bord de votre dirigeable, je n'ai plus qu'une confiance modérée en vos paroles. Vous êtes du genre à trahir vos promesses.
— C'est possible. Mais si vous tenez à Morgane, vous n'avez pas le choix. »
Il fixa crânement Fulbert, satisfait de ce dilemme sans issue, jusqu'à ce que la susnommée s'exclame :
« Je ne suis pas une monnaie d'échange. Ma vie ne vaut rien. La mission est plus importante ! »
Le chevalier Siegfried parut très ennuyé qu'elle se dépréciât ainsi, mais il la prit au mot, et dans un claquement métallique, les lames argentées surgirent de ses bras. Il allait frapper lorsqu'une grenade fumigène de la taille d'une pomme roula entre ses pieds.
Un nuage de brouillard noya la place pavée. Anastase traversa la purée de poix d'un bond et son sabre arrêta la lame à mi-hauteur. Il entendit Morgane s'enfuir. Des détonations retentirent aux alentours. Mais les Paladins et les soldats impériaux avaient tous disparu ; il était seul avec Siegfried, tels deux colosses émergeant de la brume.
« Prenez mon cheval, lança-t-il à Fulbert, dont il devinait la présence aux frontières du maelström. Emmenez-la en lieu sûr ! Je vous retrouverai.
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Mû
Science FictionAprès cinq cent ans passés à veiller les ruines de la Terre, l'Ase Morgane est appelée en mission sur Avalon. Mais le monde errant, refuge des espoirs de l'humanité acculée, a bien dévié de sa route. Les administrateurs du système sont introuvables...