73. Vers le soleil

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Dès que Mû ouvrit les yeux, elle sut qu'elle avait commis une terrible erreur.

Tandis que Morgane se relevait à son tour, elle accourut jusqu'au fantôme de l'interface. Ce dernier la suivit d'un regard vide, semblable à un employé de banque qui s'apprête à vous dire qu'il manque un formulaire.

« Accès aux paramètres d'environnement, lança-t-elle.

Opération impossible. Le serveur est occupé.

— Par quoi ? »

Morgane secoua la tête et jeta un œil en arrière. À travers les éboulements qui obstruaient l'entrée du temple, un mince rai de lumière se faufilait jusqu'à elles. Sa couleur pâle, clinique, était aussi artificielle que le miel sirupeux de l'interface. Ce n'était toujours pas le ciel d'Avalon.

« Par quoi ? Répéta Mû.

Par Dieu, lâcha l'avatar sans paraître convaincu par ses propres mots.

— Dieu ?

— SIVA » comprit Morgane.

Elle baissa les yeux sur Lennart qui gisait sur le sol, mort peut-être, ou plongé dans un coma sans retour.

« Noah nous a menti. Il n'a pas appuyé sur le bouton. Nous sommes des imbéciles. »

La silhouette humaine fut aspirée par la cascade de lumière, et celle-ci fut parcourue de vibrations ; les échos d'une voix grave et sombre qui semblait remonter des entrailles de la terre, là où la machinerie d'Avalon prenait ses racines ; aussi bien la loi de la chute des corps, celle de l'interaction électromagnétique, que l'organisation de la biosphère, de la vie, et de la mort.

« Cela n'aurait rien changé, leur annonça Dieu. Le système d'envoi a cessé de fonctionner il y a déjà plusieurs siècles. Toutes les installations de surface subissent la corrosion due au brouillard et au sable. Si Noah avait appuyé sur le bouton, l'arche ne se serait pas envolée pour autant. Au moins a-t-il eu l'occasion de prouver sa liberté.

Car personne en ce monde n'est libre. Toute votre histoire tourne autour de la volonté d'un seul homme, Wos Koppeling, et même de son absence de volonté. Toute l'opposition mortifère entre les partisans du rêve d'Antarès et de l'Eden est née de ses hésitations. Vous deux, vous-mêmes, Koppeling vous a subordonnées à des missions vagues, aux termes abscons, sans jamais vous révéler les détails qui permettraient de les accomplir. Vous n'étiez pas libres, et vous étiez condamnées à échouer, pour sa propre pénitence. Ainsi, depuis cinq siècles, depuis la migration vers Avalon, il n'y a pas eu un seul homme libre sur Terre. C'est pourquoi l'humanité a déjà disparu, et je ne fais qu'essuyer la poussière.

— On s'en passerait bien, rétorqua Morgane.

— J'ai besoin de faire du rangement, avant d'accueillir les visiteurs d'outre-espace qui, j'en suis sûr, ne manqueront pas de s'arrêter un jour sur Terre, et d'étudier les stèles que nous leur avons laissées. »

La voix de SIVA s'interrompit abruptement, comme si un assistant lui coupait le micro, et l'interface s'éteignit tout à fait. Horrifiée, Mû agita des bras au milieu de la pièce, mais le système refusa de répondre. À coups de poings recouverts de cristal, elle frappa les murs de pierre comme si le fantôme y avait ses appartements, mais il n'y avait rien d'autre. L'interface, comme les cristaux de Sysade, était une forme de magie ; elle n'obéissait pas aux lois d'Avalon.

« Calme-toi » ordonna Morgane.

Elle se sentit chanceler et l'Ase la rattrapa. Ses pensées tournaient sans but. Elle était emprisonnée dans son corps, dans son esprit, dans cette simulation de monde, dans les souterrains de la Terre dévastée. Prise au piège pour la première fois depuis son envol d'Antarès. Car Mû avait d'abord été libre, puis elle avait rencontré Sofia, Karda, et tous les autres humains qui avaient tissé sa propre humanité...

MûOù les histoires vivent. Découvrez maintenant