23. Raine

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Nous sommes en train de rédiger les Protocoles qui régiront le fonctionnement de SIVA.

On dirait un traité international que l'on cherche à faire approuver par tous les membres de l'ONU. Chaque mot est scruté, chaque intention est décortiquée, et au final, les Protocoles ne disent pas grand-chose.

Car je vois bien que des opinions différentes ont fini par se cristalliser au sein du projet.

Quel est l'objectif d'Avalon ? Envahir cette planète hypothétique autour d'Antarès, est-ce vraiment notre seule option ? Les Protocoles de SIVA n'en diront rien, et ce sera pour le mieux : le système d'implantation n'a pas besoin de savoir pourquoi on l'emploie.

Mais nous ne faisons que repousser le problème à plus tard, lorsque nous serons entrés dans la Simulation, et que nous devrons décider où nous allons.

Wos Koppeling, Journal


Le réveil de Fulbert fut un peu plus brutal que celui de Morgane ; il était assis dans une position inconfortable, les mains menottées à un tuyau de radiateur glacé.

Son regard fit le tour d'une pièce encombrée de matériel médical et de curiosités scientifiques ; une boîte en carton pleine de petites batteries plomb-acide traînait juste à côté de ses pieds ; sous clef dans une vitrine, un crâne humain le contemplait d'un air ahuri, comme s'il ignorait ce qui l'avait amené ici.

Une table d'opération occupait le centre de la salle, surmontée de lampes puissantes dont Fulbert pouvait sentir la chaleur. Une femme y effaçait des traces de sang à l'aide d'un chiffon puant l'alcool, tout en fredonnant une ballade sans paroles.

Fulbert tira sur ses menottes ; elle lâcha son chiffon, se tourna vers lui et s'accroupit pour se mettre à sa hauteur. Malgré les lunettes rondes aux verres colorés, Fulbert reconnut les yeux blancs des Ases. De visage, la femme ressemblait un peu à Morgane, mais une version de Morgane qui aurait totalement accepté son inhumanité. Elle penchait sans cesse la tête de droite à gauche comme une perruche sur sa branche, sans ciller, comme pour l'intimider.

« Salut, lâcha-t-elle au bout d'un long moment.

— C'est une honte ! clama Fulbert avec la voix la plus mortifiée et scandalisée que son art de trouvère pût produire, ce qui lui arracha une quinte de toux. Je suis un Paladin, ma mission est sacrée, et vous n'avez pas le droit de me priver ainsi de ma liberté... »

La femme cligna des yeux.

« Excusez-moi, vous disiez ?

— Je vous ordonne de me libérer.

— Ce n'est pas de mon ressort.

— Qui êtes-vous, qu'est-ce que je fais ici et pourquoi suis-je emprisonné ? »

Trop de questions en une fois ; l'Ase fronça des sourcils et passa à autre chose. Fulbert tendit le cou et constata que son sabre était posé sur la table ; la lumière indiscrète des projecteurs décortiquait les moindres facettes du cristal incrusté sur sa garde, comme un acte de voyeurisme. La femme parcourait des boîtes à outils en sélectionnant des pinces, tournevis, marteaux, burins.

« Je n'ai pas le droit de vous parler, expliqua-t-elle en faisant jouer la lumière sur la lame du sabre.

— Et moi, qu'est-ce que j'ai le droit de faire ? Est-ce que je peux chanter ? »

Elle laissa retomber le sabre avec une expression d'horreur et commença à fouiller ses armoires de matériel médical à la recherche, sans doute, d'un bâillon – ou d'une masse.

MûOù les histoires vivent. Découvrez maintenant